#PACTE Pourquoi nous nous battons !

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L'indécence n'a décidément plus aucune limite et le Gouvernement à travers ses ministres ne prend même plus la peine de s'adresser aux représentants des commissaires aux comptes pour leur confirmer que leur profession sera supprimée pour 80% des entreprises. Une « fuite » dans la presse est plus efficace. Si tant est qu'il y eut encore un doute sur la question. Le courage politique est une notion bien personnelle aux uns et aux autres.

Peut-être cet ultime affront réveillera-t-il les instances et les syndicats de notre profession. La confiance dans l'avenir et le laisser-faire, ça ne marche pas. Il faut que quelqu'un le leur dise. Cela évitera de rajouter du ridicule au tragique.

Les commissaires aux comptes en région commencent à s'organiser devant l'impuissance de leurs instances. Et je pense avec une virulence plus exacerbée que ce que l'on a connu jusqu'ici. Il est donc de bon ton de rappeler à tout un chacun au nom de quoi nous nous battons.

Pour nous

Oui. Ne nous mentons pas, le combat est mené pour nous. Aucune profession n'accepterait d'être traitée de la sorte. Aucune. Suppression brutale, sans contrepartie du revenu, parfois unique, de dizaine de milliers de personnes. Certes 30 000 chômeurs de plus sur un total de 3.5 millions, cela fait moins de 0.1%. Une paille.

Que devront-ils dire aux auditeurs qu'ils ont embauché ? Qu'à terme, on ne sait pas quand, il faudra licencier certain d'entre eux ?

Que devront-ils dire aux petites entreprises qui nous leur fait confiance pour certifier leurs comptes ? Que le gouvernement considère qu'ils sont une nuisance pour l'économie ?

Que devront-ils dire aux banques qui leur ont prêté de l'argent pour racheter quelque chose qui ne vaut plus rien aujourd'hui ? Que devront-ils dire quand on saisira leur maison, leur voiture et leurs biens quand ils ne pourront plus payer leur emprunt et qu'on aura activé leur caution personnelle ?

Que devront-ils dire quand on leur dira qu'en plus, comme ils étaient chefs d'entreprise, ils n'auront pas droit au chômage ?

Quand on entend des parlementaires nous traiter de rentier, il faudrait leur parler de leur propre système de rémunération et de retraite. Charité bien ordonnée commence par soi-même : je n'ai pas de leçon de morale à recevoir d'un sénateur qui au bout d'un mandat de 6 ans touche quasiment 2 000¤ de retraite.

L'indécence ayant ses limites, je prédis une action judiciaire d'une ampleur sans précédent où des milliers de CAC vont assigner l'État pour rupture brutale de relations commerciales, perte de chance, etc. Et cela ne sera que Justice.

Pour le droit à une économie régulée et juste

Parlons-en de la Justice. Au-delà de notre petite personne, les rats cupides et orgueilleux que nous sommes avons tout de même une pensée émue pour ce que sera le tissu économique français une fois qu'il aura été totalement dérégulé. Les grandes entreprises se diviseront en de multiples structures pour échapper à tout contrôle. Ceux qui ont l'argent auront le pouvoir et les petites entreprises que l'on souhaite soi-disant aider aujourd'hui se retrouveront à être les seuls redevables de l'impôt, les puissantes ayant eu tout loisir d'organiser les schémas d'optimisation fiscale les plus agressifs en toute quiétude, plus personne n'étant là pour les en inquiéter.

Il est d'ailleurs intéressant de voir que c'est M. Bruno Le Maire, Ministre de l'Economie, qui s'est saisi du dossier et qui nous honore de déclarations régulières, et non le Ministère de la Justice qui est silencieux sur la question. C'est bien l'Inspection des Finances qui a réalisé le rapport partial et truffé d'erreurs sur notre profession et non une inspection qui dépend du Garde des Sceaux. Et pourtant, notre ministère de tutelle n'est pas celui de M. Le Maire. Et la vérité est que nous n'avons pas plus de comptes à rendre à Bercy qu'à lui.

Et c'est sans doute ça, la vraie conclusion de ce rapport.

La justice n'est pas rentable. Je laisse à chacun le soin de se demander si elle se doit de l'être ou pas. Vu de l'extérieur, on a tout de même l'impression que c'est l'économie et donc le droit du plus fort qui s'applique, et que la justice dans tout ça n'a qu'un rôle de secrétaire de séance.

Nous sommes dans un contexte politique où le droit d'amendement vient d'être réduit (réduction du poids du pouvoir législatif donc), où l'on a voté la loi sur le secret des affaires alors que moins de 100 députés étaient présents dans l'Hémicycle, où les avocats sont dans la rue pour protéger le droit de leur client à avoir accès à un juge, et où l'on veut supprimer le contrôle des sociétés par ceux qui défendent l'intérêt public. Personnellement, je trouve que c'est grave.

Enfin, j'ai une pensée de sympathie envers notre régulateur, le H3C. J'imagine que ce n'est pas non plus agréable de se savoir régulateur d'une profession piétinée sous prétexte qu'elle est inutile. Et de ne pas l'avoir relevé à aucun moment durant toutes ces années. Ils doivent se sentir au moins aussi méprisé que nous.

Pour éviter un super-trust des bigs

Une fois que 80% des commissaires aux comptes  auront disparu, avec eux la Compagnie des Commissaires aux Comptes, c'est bien les très grands cabinets d'audit qui règneront en maîtres sur l'audit en France. C'est même assumé par le rapport de l'IGF qui pense que c'est une excellente chose. Il faudra leur dire que le Royaume-Uni fait actuellement le chemin inverse en demandant au régulateur anti-trust s'il ne serait pas mieux de démanteler les Big 4 pour éviter un risque systémique majeur sur l'économie du pays.

Accessoirement, cela conduira également à faire contrôler une plus grande part de l‘économie par des sociétés étrangères : PWC, DELOITTE, EY, KPMG, BDO, GRANT THORNTON sont des groupes étrangers. Seul Mazars est originaire de France. Est-il concevable de sous-traiter à l'étranger la sécurité de notre économie ?

On peut noter que les cabinets cités auparavant ont avantageusement créé une fédération du nom de F3P en début d'année. Ils ont sans doute senti le vent tourner avant nous. Mais tout de même, il y a des jours où l'on se demande si c'est bien Dieu qui souffle.

Quant aux honoraires des sociétés qui resteront concernées par le contrôle légal, je vous laisse deviner. Avec un peu de chance, ce sera le premier marché qui n'aura pas connu de hausse de tarif après une concentration de ses acteurs et la création d'un quasi-monopole au bénéfice d'un nombre réduit d'acteurs. Leur poids politique déjà élevé en deviendra encore plus préoccupant.

En conclusion

D'aucuns penseront encore que je ne suis que l'un des nantis sacrifié sur l'autel de la sacro-sainte réforme pour sauver le pays. Il n'empêche que quand on exige de faire 8 ans d'études pour exercer une profession, cela ne doit pas être si évident que ça à faire.

N'en déplaise à chacun, je n'exerce pas ma profession uniquement pour l'argent. En bon alsacien que je suis, je pourrais aller travailler en Suisse ou au Luxembourg, et même en France dans un grand Groupe pour un salaire plus élevé de 2 à 3 fois. Sans caution personnelle, sans risque de mise en cause personnelle et non assurable de 250 000 ¤, et sans état d'âme pour mes clients.

Mais j'ai prêté serment devant la Cour d'Appel. « Je jure d'exercer ma profession avec honneur, probité et indépendance, de respecter et faire respecter les lois. ». Et je fais partie de ceux pour qui cela a encore un sens à ce jour.

Pour nous, pour nos salariés mais aussi pour nos clients, voilà pourquoi nous nous battons.

Charly Voulot
Expert-comptable et commissaire aux comptes associé

Article écrit par Charly Voulot et publié originalement sur Linkedin, repris sur Compta Online avec autorisation de l'auteur que nous remercions !