Obéir aux forces auxquelles on veut commander

Article écrit par (3 articles)
Modifié le
3 262 lectures

Cet été, mon fils a été initié au surf.

La première chose qu'on lui a apprise, c'est à assurer sa sécurité en utilisant son corps telle une planche sur les vagues pour pouvoir revenir vers le bord s'il était mis en difficulté.

Une fois qu'ils ont pris un peu d'assurance, les surfeurs apprennent à utiliser les baïnes - des courants étroits qui éloignent du bord - afin de passer plus facilement le mur de vagues et bien se positionner pour prendre les meilleurs déferlantes. Dangereuses pour les nageurs qui peuvent s'y épuiser s'ils luttent contre, les baïnes peuvent aussi être une chance pour ceux qui savent les utiliser.

Vous voyez où je veux en venir : à ce couple risque/opportunité auquel on se confronte face au changement.

« Pour réussir dans un nouvel environnement, il faut apprendre à en connaître les forces, et s'y soumettre. »

Après avoir observé les lois qui président à tout changement de paradigme, nous regarderons l'impact de la transformation numérique sur le couple matière/information, avant de vous faire part d'un retour d'expérience en tant qu'éditeur auprès de la profession comptable.

Les 6 lois du changement numérique

Selon Luc de Brabandère, il existe 6 principales lois auxquelles on doit se soumettre pour réussir toute transformation importante, numérique ou autre.

Il n'est pas possible de ne pas changer

On dit qu'il n'est pas possible de se baigner deux fois dans le même bain, car le flux de la rivière passe continuellement. Imperceptiblement, qu'on le veuille ou non, le numérique change notre monde dans ses fondations : où sont les choses dans le cyberespace ? Partout, c'est à dire nulle part. Quelle heure est-il à l'époque du temps réel ?

« Le concept de vitesse - la distance divisée par le temps - est-il toujours le même dans le monde numérique ? Lorsqu'on divise le cyberespace par le temps réel, ça donne quoi ? »

« Rien n'est plus difficile que de changer l'ordre des choses »

Cette phrase, tirée du Prince de Machiavel, a 5 siècles. Elle insiste sur l'inévitable résistance que provoquera toute tentative de changement.

Il est important d'en avoir conscience lorsqu'on entreprend de transformer une organisation. Dans un groupe, il y aura toujours des pionniers (10%) , des attentistes (50%), des sceptiques (25%) et des opposants (15%).

« L'enjeu dans la conduite du changement consiste à aider les pionniers à rallier à leur cause les attentistes puis les sceptiques, avant que ne le fassent les opposants. »

Il y a 2 types de changement

Il y a le fait de changer les choses et celui de changer notre perception des choses.

Je lisais cette semaine une interview d'Emmanuelle Wargon, secrétaire d'état à l'écologie (Le Monde, 28 août), qui expliquait au sujet des logements passoires thermiques qu'une interdiction de leur location en ferait sortir 47% du parc locatif privé. On peut imaginer l'impact d'une telle mesure sur les loyers.

Le changement de perception a eu lieu mais le changement réel pas encore. Avant que les passoires thermiques soient interdites, il va falloir simplifier les aides, ouvrir ces aides aux bailleurs, assouplir les règles de majorité dans les copropriétés.

« Changer la réalité prend du temps, il s'agit d'un mouvement continu effectué par un groupe de personnes. En revanche, le changement de perception requiert une démarche individuelle. » Luc de Brabandère

Le changement réussi est nécessairement double

La fusion des entreprises A et B ne deviendra une réalité que lorsque ses salariés se définiront comme faisant partie de l'entité commune C et non plus comme ex A ou ex B.

Seul le changement de perception rend le changement de réalité irréversible. C'est valable pour le changement numérique qui ne peut réellement prendre forme que s'il s'accompagne de nouveaux modèles mentaux, de nouveaux concepts.

Le pétrole fut découvert en 1850, mais pendant des décennies il n'a été utilisé qu'en étant brûlé, ce n'est que vers 1890 qu'est apparu le moteur à explosion.

« L'enjeu de la transformation digitale ne consiste pas à numériser des métiers en ajoutant couche technologique, mais plutôt à les réinventer dans un monde devenu numérique. » Luc de Brabandère

« Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une remise en question totale de notre exercice », Laurent Benoudiz, Affiches parisiennes, 23 août 2019

Le changement n'est possible que si certaines choses ne changent pas et on ne peut observer le changement que si on dispose d'un point fixe

Dans son roman Le Guépard, Lampedusa raconte l'histoire d'un aristocrate italien du XIXème siècle qui assiste inquiet aux révolutions en marche. Lors d'une discussion avec son neveu, il lui dit ceci :

« Si tu veux que les choses restent comme avant, il va falloir tout changer. »

Pour observer le changement, on a besoin de se doter d'un point fixe. Pour la transformation numérique comme pour les révolutions industrielles précédentes, c'est le couple matière/information qui permet le mieux de l'expliquer.

La data, ce nouvel or noir

Le binôme matière/information a en premier été pensé par Aristote. Le philosophe explique que la réalité est prise dans un mouvement qui pousse irrésistiblement la matière à prendre forme.

« Ainsi, le sculpteur qui veut réaliser un cheval va devoir en informer le marbre, le fossile devient une pierre qui véhicule de l'information sur un végétal ou un organisme vivant ancien. »

Les grandes révolutions s'expliquent aussi par ce binôme matière/information ou matière/énergie : l'imprimerie et le livre, la machine à vapeur, le pétrole et le moteur à explosion, l'énergie nucléaire et l'informatique, et nous sommes à présent entrés dans l'ère de l'information.

Les parallèles sont d'ailleurs nombreux entre les deux binômes : l'information, comme l'énergie, est produite, extraite, transportée, transformée, etc...

Simplement, on réalise que là où la matière est limitée - ce qu'atteste la crise écologique actuelle - l'information elle, est illimitée et peut être plus riche que la matière.

Pourquoi un moteur de recherche est-il gratuit ? Parce qu'il se nourrit de nos informations. Pourquoi l'acceptons-nous ? Parce qu'on perçoit dans son utilisation davantage de bénéfices par les services rendus que dans la conservation de notre anonymat.

« Quelle entreprise d'ERP comptable a le plus de valeur? Celle qui vend un logiciel aux expert-comptables, ou celle qui met à disposition de l'expert-comptable la data qui lui permet de rendre de plus grands services à ses clients ? »

Retour d'expérience

Une fois effectuée la prise de conscience d'un besoin de transformation en profondeur, la seconde difficulté consiste dans sa mise en ½uvre. OK, notre mode de consommation n'est pas viable et détruit la planète, mais comment fait-on concrètement pour limiter notre empreinte écologique ? D'un point de vue collectif, pensez-vous qu'il faille plutôt adopter une politique incitative ou contraignante pour faire évoluer les usages ? L'urgence climatique est maintenant, mais qu'est-ce qui sera accepté par les citoyens parmi les mesures qui peuvent être mises en ½uvre ? Individuellement, le vieux diesel que je veux renouveler et dont j'ai besoin pour aller bosser, je le remplace par quoi ? Une motorisation essence, hybride, électrique ? Je peux aussi parier sur l'hydrogène, et attendre encore quelques années ?

On observe des interrogations et des attitudes similaires chez les experts-comptables face à la transformation digitale.

« La profession s'accorde pour dire qu'une prise de conscience collective a eu lieu lors du 70ème congrès de l'ordre en 2015. Que s'est-il passé depuis 4 ans ? »

Beaucoup d'enthousiasme, de nombreuses initiatives, de workshops, de barcamps, de conférences, de temps passé en formation, en commission numérique, à tester diverses solutions cloud et collaboratives. Pour quels résultats ?

Quatre ans plus tard, quelle est l'évolution du nombre de dossiers de tenue traité par collaborateur au sein de votre cabinet ? De combien a augmenté la part du conseil dans votre chiffre d'affaires ? Combien de collaborateurs avez-vous sécurisés dans leur emploi en les faisant évoluer vers des missions de secrétariat administratif et comptable ?

Ce que l'on sait, bien qu'il faille reconnaître de fortes disparités d'un cabinet à l'autre, c'est que la part du chiffre d'affaires automatisable, est toujours bien supérieur à 50%.

Malgré les efforts des éditeurs, des consultants, des instances représentatives, des expert-comptables, des chefs de mission et des collaborateurs, les résultats obtenus ne sont pas encore à la hauteur des attentes, ou de l'investissement fourni par chacune des parties prenantes.

Les raisons sont à chercher aussi bien du côté des éditeurs qui ont pu survendre un produit ou sous-évaluer sa difficulté d'implémentation, que du côté des experts-comptables qui ont mal préparé ou ne se sont pas fait accompagner dans le changement.

« Ma plus grande erreur en tant qu'éditeur a été de croire que disposer d'un outil centré client signifiait la mort de l'outil de production comptable. »

Car enfin, si tous les flux entrants peuvent être dématérialisés dans une même solution qui génère automatiquement 70% des écritures, alors il n'y a plus qu'à faire quelques exports par an pour la TVA, la révision et le bilan, et le tour est joué. Plutôt simple, non ?

Et pourtant non, ce n'est pas si simple. Le taux de pénétration des solutions collaboratives au sein des cabinets et chez leurs clients en témoigne. Aucun éditeur de solution SaaS comptable ou pré-comptable n'est pour le moment parvenu à trouver le bon product market fit. Sinon, cela se saurait. Silae a trouvé le product market fit sur la paie et a pris le marché en 2 ans, malgré des prix supérieurs aux solutions pré-existantes.

Car s'il y a une chose qui fonctionne bien entre experts-comptables, c'est le bouche à oreille, la recommandation.

Pour conclure

Alors que faire ? Se lamenter, renoncer, être cynique face à ce monde que l'on ne comprend pas et à ces éditeurs incapables de sortir une solution d'automatisation comptable correcte ?

Je crois que chacun a une part de chemin à faire : les experts-comptables ont besoin de continuer à apprendre à passer d'un état d'esprit de profession libérale protégée à celui du dirigeant d'entreprise. Les éditeurs quant à eux ont besoin de continuer à peaufiner leur copie.

« Je crois que le jour où un éditeur comptable trouvera le bon product-market fit, les professionnels du chiffre seront prêts à vendre d'autres types de mission que les mission réglementaires. »

En attendant, il faut rester aux aguets.

Pour ma part, j'ai misé sur Inqom. L'entreprise, malgré une erreur de communication à ses débuts et 3 pivots en 3 ans, a conservé une conviction, une ligne directrice : la valeur de la comptabilité est dans la donnée. Fred propose aujourd'hui aux experts-comptables un service de développement de leur clientèle, couplé à une solution d'intelligence artificielle pour comptables qui n'a à rougir devant aucun de ses concurrents.



Stéphane HAMELIN
Chief Evangelist chez Inquom