Non publication des bilans des PME : des ravages en pagaille !

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L'annonce du chef du gouvernement Jean-Marc Ayrault dans Les Echos du 18 avril 2013 de vouloir dispenser les PME de publier leur bilan serait motivée par l'allègement des charges administratives qui pèsent sur elles. Une mesure dans l'air depuis le projet de directive du Commissaire européen McCreevy dans les années 2006-2007.

A l'heure du développement de l' "open data", d'un besoin criant dans notre contexte de crise durable de connaître et mesurer l'état du tissu économique, peut-on s'offrir le luxe d'une telle décision ?

Cette FBI (fausse bonne idée) défie le bon sens le plus élémentaire.

Tordons leur cou aux principales idées reçues sur lesquelles se fonde cette décision éminemment contre-productive.

- Argutie première : le coût pour la PME. Illusoire : la non publication ne dispensera pas du coût incontournable de production des bilans pour l'administration fiscale, les banques et les assureurs-crédit ; et la télétransmission dorénavant généralisée fait même disparaître le coût des timbres...

- Argutie deuxième : nos PME françaises seraient handicapées par une transparence non respectée ailleurs, notamment par les entreprises allemandes. Faux pour ces dernières : depuis plusieurs années, après un rappel à l'ordre de la Commission européenne, elles s'acquittent désormais mieux encore qu'en France de leur obligation de publication ;

- Argutie troisième : l'intelligence économique imposerait de protéger nos PME des prédateurs mondiaux. C'est une approche défensive ; et elle ne concerne en fait que les plus grosses PME et ETI qui continueront de devoir publier leurs comptes, n'étant pas concernées par la dispense ;

- Argutie quatrième : pour vivre heureux, vivons cachés. Mes comptes ne sont pas publics, parfait. Et du coup, je ne sais plus rien de mes concurrents, de mes clients, de mes fournisseurs, de mes partenaires dans la perspective de croissance externe (principal levier pour développer les ETI, qui doivent publier leurs bilans, et qui sont les principales cibles de rachat par grandes entreprises nationales et internationales...).

Rappelons à présent quelques unes des conséquences catastrophiques d'une telle décision :

- Ravages premiers : la méconnaissance statistique de l'état et de l'évolution du tissu des PME ; les économistes, les enseignants-chercheurs, les collectivités territoriales, les Chambres de commerce, les syndicats professionnels, les services de l'Etat eux-mêmes tels que la BPI, les DIRECCTE... La liste est longue des acteurs qui vont brutalement se voir mettre un bandeau sur les yeux, et ne plus pouvoir apprécier et mesurer où sont les problèmes macro-économiques, et quelles solutions envisager ;

- Ravages deuxièmes : la PME, en se masquant vis-à-vis de l'extérieur sera d'autant moins incitée à regarder sa propre réalité en face ; mauvais pour la prévention des difficultés et pour l'amplification des défaillances en cascade ;

- Ravages troisièmes : une industrie entière, celle de la collecte, du traitement et de la rediffusion des bilans, va perdre brutalement sa base économique (pour ne citer que les plus connus Societe.com, Creditsafe, COFACE-Services et Bureau van Dijk pour Diane, Altarès, Bilan Services, Scores et Décisions...) sans parler de l'INPI et Infogreffe dont les pertes de revenus seront considérables (a-t-on mesuré les pertes d'emplois et de compétences induites ?).

Pourquoi se tirer une balle dans le pied en se conformant par excès de zèle à des orientations européennes qui ne sont au demeurant que suggérées mais pas obligatoires ? Pourquoi relayer des choix inspirés par l'idéologie ultra libérale et le lobby égoïste des pays ayant récemment rejoint la Communauté européenne et qui ne sont pas prêts à respecter ce minimum d'exigence (on peut au demeurant les comprendre, et leur laisser des délais) ?

L'économie française gagnera plus à la confiance par la transparence qu'à la défiance par l'opacité.

Formulons ici l'espoir que le bon sens reprendra ses droits, tant au sein du gouvernement que du Parlement.

Article écrit par Patrick Sénicourt paru dans les Échos du 23 avril 2013

Membre de la CCEF (Compagnie des conseils experts financiers)
Ancien Professeur ESCP-Europe
Président de NOTA-PME

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