Néobanques et expertise comptable, ou le syndrome de la ligne Maginot

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Le think tank des Moulins le rappelait dès novembre 2015 dans sa première étude, « on peut globalement distinguer quatre grandes étapes successives chez les entreprises confrontées à un acteur dont le modèle brise les codes de la profession » :

  • le déni ;
  • le dénigrement ;
  • l'action corporatiste auprès des pouvoirs publics ;
  • la réaction sur le terrain et l'adaptation pour limiter les impacts négatifs de cette intrusion.

Peut-on appliquer ce modèle aux relations complexes qui lient experts-comptables et banques ?

La concurrence des établissements bancaires sur le terrain des experts-comptables est un sujet ancien. Et on peut aisément comprendre qu'il s'agisse d'une véritable préoccupation. Car si l'expert-comptable est bien « au coeur des flux », le banquier l'est aussi, même si c'est dans une moindre mesure. La maîtrise des flux bancaires lui apporte de nombreuses informations sur la santé de l'entreprise, et crée une proximité qui le place au centre de nombreuses problématiques de gestion : financement de projets bien sûr, mais aussi recouvrement, fiscalité, gestion de patrimoine, etc.

Mais les banques ont-elles réellement besoin de faire de la comptabilité pour concurrencer les experts-comptables ? La protection apportée par la prérogative d'exercice exclusive pourrait-elle faire oublier d'autres questions d'avenir ? Il semble que ce soit le cas. Car, par de nombreux aspects, le débat autour d'une éventuelle perte de cette prérogative, est d'ores et déjà dépassé.

Certes, les experts-comptables peuvent se prévaloir de la prérogative d'exercice exclusive obligeant les entreprises qui externalisent leur comptabilité à recourir aux services d'un expert-comptable. Mais si cette protection juridique est réelle, elle peut entraîner un certain immobilisme, et ce pour plusieurs raisons, réglementaires, technologiques et commerciales.

Technologiquement d'abord, car la numérisation des flux et l'intelligence artificielle permettent déjà aux banques de rapprocher flux bancaires et pièces comptables, de calculer la TVA déductible, ou de réaliser des prévisionnels. Il ne s'agit plus d'un scénario d'avenir, mais bien d'un nouveau standard dans l'offre des néobanques, comme le montre notre analyse de l'offre des principaux acteurs du moment.

Réglementairement ensuite, car on sait désormais qu'une évolution législative demain peut faire tomber des barrières qui paraissent solides aujourd'hui. Difficile en effet d'ériger en stratégie de défense la prérogative d'exercice des experts-comptables quelques mois après le traumatisme engendré par la remontée brutale des seuils d'audit. Les frontières sont aussi devenues plus floues, car rien n'interdit aux banques d'entrer au capital des cabinets. Dans quelle mesure peut-on dire que la création de Blank, startup du Crédit Agricole, ne profite pas aux experts-comptables, quand le Crédit Agricole Centre-Est détient 29,10% du capital d'In Extenso ?

Commercialement enfin, car, et c'est désormais une banalité, le dirigeant d'entreprise ne cherche pas un bilan, mais un accompagnement. Les banques l'ont bien compris : elles ne facturent pas une liasse fiscale ou un état financier, mais des rappels d'échéance, une aide à la facturation, un conseil fiscal et social, du temps de classement gagné, une solution d'affacturage... le tout avec une offre claire, lisible, et bien marketée.

Compte tenu de tout ceci, nous vous proposons de dépasser le déni, ou plus simplement de répondre à votre curiosité sur le sujet avec un dossier en 3 parties à paraître au cours des prochains jours :

Bonne lecture !



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.