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Mais que diable irions-nous faire dans cette galère ?

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Catégorie : Actualité des métiers du chiffre
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Vincent Reynier

PACTE a-t-elle définitivement scellé le sort des libéraux ?

Quand on lit le décret 2020-607 publié le 2 juin dernier qui met le point final à la réforme avortée de nos institutions on peut avoir la sensation de lire l'acte de décès de l'exercice libéral de la profession de commissaires aux comptes.

En imposant un système électoral inique qui mécaniquement garantira le contrôle de la Compagnie Nationale aux grands réseaux internationaux et à quelques-uns de leurs obligés, la Ministre sortante a cédé aux pressions conjointes du Président de la CNCC et de Berçy qui militent depuis des années, à visage découvert ou à visage masqué, pour une concentration des acteurs d'une profession exercée aujourd'hui par environ 12 000 professionnels.

Nous serions trop nombreux, pas assez performant, peu utile etc., etc...  « Big is beautiful » et pour les autres « may they rest in peace » ! Trouvant sans doute que le législateur n'avait pas été assez zélé ou un peu lent, la gouvernance de la CNCC, après avoir obtenu deux fois le report des élections, a enfin pu concocter sa petite cuisine et imposer à la Chancellerie un charcutage de la carte électorale pour les régions et, au niveau national, un pseudo système électoral assurant à ceux qui réalisent la plus grande part du chiffre d'affaires de la profession la direction de nos institutions. Si on osait la métaphore en transposant à un scrutin classique, c'est comme si on donnait une voix triple aux 15% des français qui payent le plus d'impôts !

Malgré les protestations et les réserves du régulateur rien n'a pu arrêter une mécanique implacable enclenchée dès le début de la discussion de la loi Pacte.

Et pourtant ! La profession de commissaire aux comptes est-elle morte pour autant ? Cette activité doit-elle être réservée uniquement à une petite caste de privilégiés ? Les PME qui constituent le tissu économique français peuvent-elles se passer de l'audit ? Peuvent-elles se satisfaire d'un choix ultra limité à quelques auditeurs leur imposant leurs normes et leurs honoraires ? Le mélange de l'audit et du Conseil est-il inexorable ? A toutes ces questions la réponse est bien évidemment non.

Alors que faire pour éviter la disparition d'une espèce que les Cassandre considèrent déjà définitivement condamnée ? Dans un système en réalité pas autant libéral que certains veulent bien le dire, où toute activité économique est dans les faits très encadrée, les marges de man½uvre peuvent sembler très faibles. Néanmoins, là où il y a une volonté, il y a toujours un chemin. Depuis plus de quinze ans la CNCC arque-boutée sur ses certitudes a toujours refusé la création d'un département PE (petites entreprises) ânonnant avec son syndicat majoritaire tels des derviches tourneurs dans leurs danses sacrées leur incantation magique : « un audit est un audit ». Le résultat on le connait.

Pacte a été promulguée et le retour de balancier a été si violent que beaucoup de professionnels s'interrogent sérieusement sur leur capacité à maintenir dans leur offre une activité très exigeante, de moins en moins lucrative et de plus en plus risquée. On aurait pu croire que ceux, qui depuis des décennies gouvernent l'institution, devant le séisme créé par cette loi et conscient du risque de schisme entre les professionnels allaient sortir de leur torpeur et proposer enfin ce qui est l'unique solution : un audit utile pour le marché. Que nenni ! Non satisfait de s'être fait étriller par le législateur, la CNCC a dépensé des fortunes dans un pôle PE « pondant » deux malheureuses normes d'exercice professionnel dont l'une peut être déjà considérée comme morte née tant elle apparaît inappropriée et inapplicable. Un pôle PE concédé dans la précipitation pour éviter surtout que l'intérêt (feint ou réel ?) du Ministre des Finances pour inscrire dans la loi la création d'un département PE se concrétise...

En persistant sur cette voie la CNCC ne fait que confirmer qu'elle est autiste, recroquevillée sur elle-même et toujours drapée dans ses certitudes. Au lieu de se tourner vers les acteurs de l'économie (banques, assurance-crédit, tribunaux de commerce, administrateurs judiciaires etc...), elle gaspille des millions dans des communications narcissiques et dans la mise au point de pseudos outils dont l'inutilité n'est liée souvent qu'à la vanité de ses concepteurs. Pourtant certains, à l'instar de la CRCC de Paris, ont dépensé beaucoup d'énergie pour proposer des labels et des missions utiles et reconnues par le marché. Comme malheureusement depuis si longtemps, la CNCC a feint d'y porter intérêt pour appliquer sa politique habituelle de l'édredon consistant à paralyser d'abord pour mieux étouffer ensuite.

Quand on se trompe autant, si souvent et si longtemps, cela ne peut pas être le fruit du hasard ! Parce qu'à la CNCC contrairement aux apparences il y a de l'intelligence ! Il y en a même beaucoup et aussi beaucoup de savoir-faire... Alors « Comment en un plomb vil l'or pur s'est il changé ? ». Le dramaturge Racine hante-t-il le fonctionnement de nos institutions ?

Année après année, inexorablement, les grands réseaux se sont emparés de tous les leviers de commandes de l'institution. Ce furent d'abord les grandes commissions techniques (banques, assurances...) qui furent accaparées. Quoi de plus naturel que de confier des commissions à de grands techniciens très diplômés, très compétents et rodés par une pratique éprouvée ? Puis les membres des commissions ne pouvant pas tout faire, il fallait bien renforcer les équipes avec des permanents compétents. Qui mieux que des collaborateurs zélés ayant trainé leurs guêtres pendant des années sur le parvis de la défense et ayant juste eu le grand malheur de louper la dernière marche leur interdisant d'atteindre le graal (à savoir le titre d'Associé) pour préparer les dossiers, organiser le lobbying et animer les commissions ?

Tour de force démontrant bien, pour ceux qui en doutent, la stratégie intelligente des grands réseaux : exfiltrer des collaborateurs aux rémunérations conséquentes pour les faire payer par la communauté en noyautant les rouages de l'institution. Si ça ce n'est pas de l'intelligence, cela y ressemble fort... Et puis il fallait oser mais ils ont réussi, il fallait s'approprier les commissions régaliennes : Commission d'éthique professionnelle (si si, ils l'ont fait !), commission des études comptables, commission des études juridiques...

Inexorablement et méthodiquement la CNCC est devenu la machine à recycler les talents déçus et le syndicat des grands cartels se partageant les marchés et le pouvoir. L'or vif est certes devenu vil plomb pour la grande majorité, mais pas pour tous ! Les grands réseaux ont une logique incontestable et éprouvée de la loi des marchés. L'intérêt général ne les animent pas en priorité, seule la réussite économique prime. Ils ne sont pas immoraux mais uniquement amoraux. En fait, ce ne sont pas eux les plus blâmables. Ils ont leur utilité et permettent de faire progresser notre profession dans de nombreux domaines. Ceux qui sont le plus condamnables, ce sont les petits roitelets qui se sont fait acheter pour un plat de lentilles. Ceux qui quémandent des miettes qu'on leur distribue avec une parcimonie bien sentie... Persuadés d'appartenir à une petite élite d'initiés bien-pensante, fiers de leurs fausses certitudes, ils ont vendu leur âme en essayant d'arrondir parfois leur portefeuille qu'ils peinaient à remplir avec leur seul talent. Pour s'assurer le silence bienveillant des récalcitrants, il fallait qu'ils paralysent leur syndicat. Rien de plus simple qu'en les rendant dépendant de leurs cotisations et accros tels des toxicomanes à un confort financier leur faisant oublier l'essence même de l'engagement désintéressé.

On pourrait penser à la lecture de ce tableau, certes non complaisant mais réaliste, que le contrôle de la profession était garanti pour longtemps. Mais Pacte étant passé par là, il fallait s'assurer que la CNCC serait toujours à l'abri d'une révolte des manants... Les vents étaient favorables. Jamais un Garde des Sceaux n'avait été aussi inexistant face un Ministre de l'Économie totalement en osmose avec les grands réseaux. Toutes les planètes semblaient alignées... Il ne restait plus qu'à porter l'estocade : menacer de quitter les institutions si on n'accordait pas avant tout décompte des votes 50% des sièges à 5% des professionnels.

C'est ce que le décret du 2 juin 2020 a voulu graver dans le marbre. ECF a engagé un référé devant le Conseil d'État pour suspendre l'exécution de ce décret et en contester la légalité. Une action conjointe a été engagée par Jean-François Mallen, notre tête de liste nationale, qui selon ce règlement inique pourrait appartenir à une « espèce rare » : être un électeur du collège EIP (son cabinet audite plusieurs entités EIP) privé du droit d'être lui-même candidat (il ne signe actuellement aucun mandat EIP pour cause de rotation obligatoire des signataires).

J'ai aussi engagé une action en tant que Président d'ECF Paris et candidat ECF à la Présidence de la Compagnie de Paris. En effet, alors que la CRCC de Paris recense à elle seule 25% des électeurs, elle ne pourrait prétendre, à terme, qu'à moins de 10% des sièges ! Et de plus ce système ne nous permet même pas d'offrir une place dans le collège EIP pour les libéraux parisiens appartenant à des cabinets certifiant des EIP. Ce qui nous a conduit à engager cette action devant le Conseil d'État, mais aussi à affirmer que nous n'avons pas notre place dans cette CNCC anesthésiée et sous tutelle, réside dans une seule phrase parodiant Géronte dans les fourberies de Scapin : « mais que diable irions nous faire dans cette galère ? »

Une CNCC encore plus déconnectée des réalités concrètes, démonétisée car privée de substance, et totalement consanguine servira à quoi pour les indépendants et les libéraux ? A représenter notre profession ? Sont-ils représentatifs ? A défendre nos intérêts ? Leurs intérêts sont ils les nôtres ? A animer les commissions ? Pour les commissions techniques sans doute mais pour les commissions régaliennes il est permis d'en douter... Pour approuver les NEP ? C'est la Chancellerie qui décide en dernier ressort. Pour exercer les délégations accordées par le H3C ? C'est bien à ce niveau que son action au-delà de son inutilité apparaît nocive et contre productive.

En application de la réforme européenne de l'audit, le Haut Conseil assume la responsabilité finale de l'ensemble des missions liées à la supervision des commissaires aux comptes. Lors de la transposition de cette réforme en droit français, le Ministère de la Justice, pressé par une CNCC paniquée à l'idée de perdre une partie de ses prérogatives au profit des régions avait tranché : le H3C ne pourrait déléguer certaines de ses compétences qu'à la CNCC. Charge à cette dernière de subdéléguer aux CRCC ce qu'elle est dans les faits dans l'incapacité de bien réaliser elle-même ! Particularité bien française : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Et puis en superposant les couches, cela permet aussi de superposer les cotisations. Car tous ces permanents au passé glorieux coûtent cher... Aujourd'hui l'usine à gaz qui fonctionnait tant bien que mal fuit de partout. Les parrains de la CNCC voulant peut-être profiter de l'effet combiné de la loi Pacte et de la désorganisation née de la pandémie ont tenté lors de la réforme du code de déontologie de jeter par-dessus bord le régulateur en soustrayant à sa vue une partie des nouvelles activités autorisées par la loi. Le coup passa si près que le chapeau faillit presque tomber... Le régulateur a gardé le droit de regard sur l'ensemble de l'activité des commissaires aux comptes mais le nouveau code de déontologie ouvre des perspectives pour le moins inquiétantes au regard de la possibilité de mélanger l'audit et le conseil, poison éternel qui, à terme, ne peut qu'entrainer scandales et discrédit.

Cet épisode a laissé des traces et la défiance s'est installée entre l'institution et son régulateur. On ne refait pas l'histoire mais on peut aider à l'écrire. Le H3C s'est intégré durablement dans le paysage de l'audit. On peut être trotskyste et vouloir l'anéantissement d'un système. On peut aussi vouloir amender et reformer. On peut aussi s'inspirer de ce qui se passe chez nos voisins européens et respirer l'air de la décentralisation qui souffle depuis quelques temps dans notre pays. Il est grand temps que les territoires reprennent leur destin en mains.

Le Haut Conseil aujourd'hui reprend des délégations qu'il avait accordé à l'institution nationale. Tout doit être remis à plat et ce qui était impossible hier ne l'est plus aujourd'hui. S'il y a bien deux activités liées à notre métier qui doivent être décentralisées, c'est bien la formation et le contrôle qualité non EIP. La première parce que qui mieux que nos IRF, souvent portés et animés par les deux métiers du chiffre et par des professionnels de terrain peut apporter les formations adaptées à nos confrères qui n'ont pas les ressources en interne d'avoir leur propre système de formation ? La seconde parce que nos contrôleurs régionaux réalisent un travail de fonds de qualité, sont des professionnels avertis, coopèrent de manière fructueuse avec le H3C et n'ont nul besoin d'un filtre national pour améliorer encore un niveau de qualité qui ne cesse de s'élever. Il faut donc oser la disparition des subdélégations au profit de délégations directes garant de l'efficacité et de la proximité si intrinsèquement liée à l'exercice libéral.

Vraiment, que diable irions-nous faire dans cette galère ? Perdre notre temps à siéger dans une institution au service de quelques uns, de moins en moins considérée et en guerre contre son régulateur ne présente aucun intérêt. En revanche, construire une nouvelle organisation décentralisée aux services des confrères peut permettre au commissariat aux comptes de redevenir utile. Paris est une CRCC au service de l'ensemble de nos confrères. Mon ambition est de lui donner les moyens de faire encore mieux et encore plus utile.

Vincent Reynier

Vincent Reynier
Expert-comptable et commissaire aux comptes.
Président du syndicat ECF Île-de-France.
Candidat à la présidence de la CRCC de Paris (élections 2020).

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