Les provisions pour impôts : attention à la comptabilisation

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L'avis du Conseil National de la Comptabilité (CNC) référencé 2000 – 01 (1) prévoit la possibilité de comptabiliser les passifs certains en charge à payer.

S'agissant des estimations d'impôt relatives aux opérations de l'exercice en cours, il est de pratique courante, chez les experts-comptables, de les comptabiliser en charge à payer alors même qu'ils seront mis en recouvrement postérieurement à la clôture de l'exercice. Il en est notamment ainsi des taxe foncières, taxe professionnelle, taxe sur les salaires, taxe d'apprentissage...

Les provisions pour impôts : le point de vue de l'administration fiscale

Sur un plan purement fiscal, il convient de revenir aux textes fondamentaux qui régissent la déductibilité des charges d'impôt en général. A ce titre, le texte de l'article 39 – 1 – 4e du Code Général des Impôts pose comme condition à la déductibilité fiscale des impôts et taxes, la nécessité de la mise en recouvrement de ces derniers avant la clôture de l'exercice.

L'application stricte de cet article s'oppose donc à toute déductibilité d'un impôt comptabilisé sous forme de charge à payer, dès lors que sa mise en recouvrement intervient postérieurement à la date de clôture de l'exercice de l'entreprise concernée. Il s'applique pleinement même lorsqu'une entreprise a une date de clôture décalée (exemple, une clôture au 30 septembre).

Toutefois, l'article 39 – 1 – 5e du Code Général des Impôts prévoit que la déductibilité des charges d'impôt peut-être admise par le biais de provisions (pour risques) constituées en vue de faire face à des charges ou pertes nettement précisées que les événements courants rendent probables.

A ce titre, la Cour Administrative d'Appel (CAA) de Paris dans une décision du 10 juillet 1990 et le Conseil d'État (C.E.) par 2 décisions des 25 octobre 1972 et 15 février 1978 (décisions rendues en matière de taxe d'apprentissage), se sont prononcés en faveur d'une interdiction de principe de la déduction d'une charge d'impôt ou d'une charge à payer d' impôt non mise en recouvrement avant la clôture de l'exercice et ont parallèlement confirmé la possibilité de constituer une provision dans cette situation.

– Décision du conseil d'État du 25 octobre 1972, n° 80122 plénière (BOI-BIC-Prov-10)

Dans cette décision, le C.E. rappelle que :

«.... Si l'article 39 – 1 – 4° du CGI. interdit aux entreprises de faire figurer dans leurs charges définitives d'un exercice, à titre de frais payés ou à payer, d'autres impôts que ceux mis en recouvrement ou devenus exigibles au cours de l'exercice, l'article 39 – 1 – 5e les autorise à déduire de manière anticipée, mais provisoire et révisable des résultats de l'exercice, sous forme de provisions, les sommes destinées à faire face au paiement d'une quelconque des charges énumérées notamment aux 1° et 4° de l'article 39 – 1, qu'elles n'auront à supporter ultérieurement, à la condition que ces charges soient nettement précisées quant à leur nature et puissent être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin elles se rattachent aux opérations déjà effectuées à cette date par l'entreprise.

Il en est ainsi, en particulier, des charges fiscales calculées sur les bases et selon le taux prévu par la législation en vigueur à la clôture de l'exercice à raison des faits survenus au cours du dit d'exercice. »

Les éditions fiscales Francis Lefebvre précisent, dans leurs commentaires en la matière (BICXII, 15600 et s) que :

« depuis un arrêt de principe de 1972, confirmé depuis lors à plusieurs reprises, le Conseil d'État estime que, si les dispositions de l'article 39 – 1 – 4e du CGI interdisent aux entreprises d'inclure dans les charges définitives de l'exercice à titre de frais payés ou à payer des impôts autres que ceux mis en recouvrement ou devenus exigibles au cours de l'exercice, rien ne s'oppose à ce qu'elles déduisent des résultats de cet exercice, sous forme de provisions, les impôts (et autres charges fiscales) déductibles par nature qui se rattachent aux opérations déjà effectuées par l'entreprise. »

Le C.E., dans sa décision du 15 février 1978 (N° 04413 7° et 8° s.-s), tout en faisant référence à l'article 39-1-5ème du CGI, rappelle qu'une charge engagée au cours de l'exercice, mais mise en recouvrement postérieurement, doit être constatée par voie de provision, et non sous forme de charge à payer.

Enfin, plus récemment, la CAA de Paris, dans une décision du 10 juillet 1990 (N° 762-763, 2ème chambre, Distribution des Industries Réunies) rappelle que :

« le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant.... notamment :....4°... Les impôts à la charge de l'entreprise mis  en recouvrement au cours de l'exercice... 5° les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables », il résulte de ces dispositions que « les entreprises ne peuvent pas, en vertu du 4e, comprendre dans les charges déductibles du bénéfice de l'exercice, à titre de frais payés ou à payer, d'autres impôts que ceux qui ont été mis en recouvrement ou sont devenues exigibles avant la clôture de l'exercice », mais peuvent en revanche «seulement, en vertu du 5e, porter en provision au passif du bilan de clôture de l'exercice, notamment dans le cas où est survenu en cours d'exercice le fait générateur d'un impôt dont l'entreprise deviendra ultérieurement redevable, le montant de cet impôt, en le calculant selon les règles tracées par la législation alors en vigueur »

La tolérance administrative

L'administration fiscale a toutefois pris conscience des divergences déjà exprimées entre l'application de la législation comptable et la législation fiscale en admettant, par tolérance, que des charges à payer au plan comptable puissent être constitutives de provisions déductibles du résultat fiscal des entreprises.

Sa position est exprimée dans la doctrine administrative, figurant au BOFIP, tel que reproduit ci-dessous  :

– BOI – BIC – PROV – 10 n° 240, 17 – 12 – 2013

Cette divergence entre les terminologies comptables et fiscales est de nature à porter préjudice aux entreprises qui ne sont pas admises à démontrer qu'une charge passée par charges à payer, conformément aux directives du Conseil National de la Comptabilité, aurait tout au moins pu donner lieu à la constitution d'une provision dès lors qu'elle répondait aux conditions de fond pour être déduite en tant que telle.

Aussi, dans l'attente d'une harmonisation des points de vues fiscal et comptable, il est admis que les dépenses qui, par application des règles comptables, ont été inscrites en charge à payer alors qu'elles auraient dû, au plan fiscal, être constatées par voie de provision, puissent être comprises parmi les charges déductibles de l'exercice au cours duquel elles ont été comptabilisées. Toutefois, cette faculté est subordonnée à la production sur papier libre, en annexe à la déclaration de résultat, d'un relevé détaillé de ces frais.

Dans sa doctrine, l'administration fiscale a donc parfaitement compris la divergence existante entre les deux législations (comptables et fiscales) et a expressément prévu de permettre la déduction de charges comptabilisées en charge à payer dès lors que l'entreprise concernée fournit, à l'appui de ses déclarations de résultats, un document annexe spécifique listant de manière détaillée les frais comptabilisés en charge à payer.

La responsabilité de l'expert-comptable

En tant que praticien, il pourrait être tentant de considérer qu'il y a là un débat inutile puisque, quel que soit le mode de comptabilisation (i.e. charge à payer ou provision pour risques), l'impact est identique en termes de résultats. D'ailleurs, nous avons l'habitude de comptabiliser les provisions pour impôts en charges à payer, sans nous poser de question.

Toutefois, la doctrine comptable, tout comme la doctrine fiscale avaient besoin de fixer des règles et de définir des notions de passif et de rattachement. La position de l'administration fiscale est claire et a été confirmée à maintes reprises par une jurisprudence constante.

En pratique, une situation mérite cependant d'être mise en lumière. En cas de rectification par l'administration fiscale (par exemple : relevé des frais comptabilisés en charges à payer non joint à la liasse fiscale), la déduction de la charge d'impôt est transféré à l'exercice suivant.

Dans le meilleur des cas, cette situation a un "effet timing" (i.e. décalage de l'année de déduction de la charge d'impôt) et a essentiellement pour effet d'entraîner le paiement de pénalités de retard.

Dans la pire des situations, l'entreprise (qui serait par exemple un groupe fiscal intégré) pourrait voir transférer cette charge sur un exercice déficitaire, perdant ainsi la possibilité de bénéficier de immédiatement de l'économie d'impôt résultant de l'imputation de cette charge (si tous les exercices postérieurs sont déficitaires, le bénéfice effectif de l'économie d'impôt peut être reporté à une date lointaine).

La responsabilité de l'Expert Comptable pourrait être engagée en pareil cas. Ce problème est d'ailleurs bien connu de nos assureurs, qui ne contestent plus les redressements opérés en la matière, lorsqu'un cabinet est mis en cause. Le supplément d'impôt et les pénalités de retard peuvent ainsi être mis à la charge du cabinet qui ne serait pas vigilent à ce sujet.

Si on peut déplorer cette situation, surtout quand nos politiques vantent les mérites de la simplicité administrative et que comptabiliser des provisions pour risques pour couvrir des impôts rend illisibles les comptes d'une entreprise sur un plan de gestion pure, il n'empêche qu'en droit, la position de l'administration fiscale est implacable. Attention donc à la comptabilisation de vos provisions pour impôt, et pensez à joindre, lorsque vous souhaitez bénéficier de la tolérance, l'état détaillé des charges à payer. Une attention particulière devra être apportée lorsqu'on télétransmet les liasses fiscales.