Les normes comptables internationales et la crise financière

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Depuis le début de la crise financière, les normes comptables internationales, également appelées normes IFRS, pour International Financial Reporting Standards, et les normes américaines (US-GAAP), ont été accusées par certains d'être à l'origine de la crise financière, et par d'autres, d'avoir permis de la révéler à temps.

Le concept de juste-valeur (ou Fair Value), utilisé pour la valorisation des instruments financier fait donc l'objet de nombreux débats, à tel point que c'est avec une rapidité sans précédent que les deux organismes normalisateurs (IASB et FASB) ont proposé un assouplissement de la norme avant de se diriger vers un projet de modification.

Les conséquences des normes sur la crise : l'accusation de procyclicité et les débats sur la juste valeur

Accusées d'être un accélérateur de crise du fait de leur effet procyclique, voire même d'en être la principale cause, les normes comptables internationales ont été fortement critiquées, au point de ranimer un débat plus ancien : celui de la pertinence de l'évaluation des actifs à la juste valeur.

Aux débuts de la crise : l'accusation de procyclicité et ses conséquences

Qu'est-ce que la procyclicité ? L'accentuation des évolutions du marché....

Sous ce terme, se cache l'une des principales critiques apportées à la juste valeur. En période de croissance, l'un de ses effets serait de gonfler les performances mais en période de crise, c'est l'inverse qui se produirait.

La hausse des bourses provoquant de fortes valorisations des actifs, générant d'importants profits et des fonds propres supplémentaires, les banques ont pu accorder d'importants crédits.

Mais en période de crise, la revalorisation des actifs à la baisse, diminue leurs fonds propres et les oblige à augmenter leur capital ou à diminuer les crédits accordés afin de respecter le ratio de solvabilité, imposé par les règles prudentielles dites de Bâle II.

Basé sur l'hypothèse d'un marché efficient et non inactif, le concept de juste valeur devient un problème lorsqu'il s'agit d'évaluer des actifs qui ne peuvent plus être cédés. Il provoque alors une sorte de cercle vicieux : parce qu'il n'y a plus aucune transparence de l'information, les titres concernés sont cédés à un prix extrêmement bas. Ce prix devient à son tour la juste valeur et provoque la comptabilisation de provisions dans les entreprises ou banques, propriétaires de titres similaires. Des titres qui n'étaient pas destinés à la vente ont ainsi été cédés dans l'urgence, pour éviter l'insolvabilité.

Pourtant, l'accusation de procyclicité des normes n'est pas nouvelle. Entre 2000 et 2003, la comptabilité avait déjà été accusée d'avoir ce fameux effet procyclique, à une époque où le mode d'évaluation des actifs, était le coût historique dans la plupart des pays d'Europe.

Une remise en cause de la juste-valeur ?

L'effet procyclique des normes a fait réagir pas mal de détracteurs de la juste valeur. Certains prônaient la suspension de la valorisation à la juste valeur, d'autres, le retour au coût historique. 

La juste valeur, qui est définie par l'IASB (International Accounting standards Board), comme le montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre des parties bien informées, consentantes, et agissant dans des conditions de concurrence normale, n'a pas que des effets négatifs.

Elle améliore l'information des investisseurs par une meilleur connaissance des plus et moins values potentielles, et reflète beaucoup mieux que le coût historique, le patrimoine de l'entreprise à un instant donné.

Parmi ses inconvénients, on peut citer le fait de provoquer d'importantes fluctuations de la valeur des actifs et passifs et de déconnecter le résultat des entreprises de leurs activités lorsqu'elles détiennent beaucoup d'instruments financiers....

A l'inverse, le coût historique, plus simple à appliquer, est plus constant.

Ce concept de juste valeur, très critiqué par certains, est tout de même défendu par d'autres auteurs qui estiment que ce n'est pas la juste valeur qui est la cause de la crise financière. Ils vont même beaucoup plus loin, en estimant que le fait de revenir au coût historique, comme cela avait été fait au Japon (pendant une crise financière, justement), serait une erreur parce que ce retour ne ferait qu'aggraver la défiance des investisseurs et donc la crise.

Il y aurait ainsi une confusion(1) entre le rôle principal de la comptabilité qui est d'informer les tiers sur la situation patrimoniale d'une entreprise à un moment donné et le rôle de l'analyse financière et prudentielle. La comptabilité, même à la juste valeur, ne doit pas prendre le pas sur l'analyse des risques qui pourrait être faite. Elle ne doit pas non plus décider de la manière de réagir à la diminution des fonds propres d'une banque.

Enfin, malgré les critiques, il n'en reste pas moins que selon Nicolas Véron(2), il n'existe pas de méthode de remplacement. Aucune méthode existante ne remplit mieux les exigences de pertinence, fiabilité, comparabilité et compréhensibilité, indispensables pour des normes comptables. Certaines donnent trop de libertés aux opérateurs, d'autres sont beaucoup moins comparables (coût historique). La seule solution envisageable, serait d'améliorer encore l'information financière et c'est bien en ce sens que les travaux des normalisateurs ont été effectués.

Les conséquences de la crise sur les normes

Toutes ces critiques ont eu principalement deux conséquences (hormis le fait d'accélérer la convergence entre les normes comptables internationales et les normes américaines) : Un assouplissement puis un projet de modification des normes en cause.

Des assouplissements d'octobre 2008...

La norme IAS 39 prévoit quatre catégories de titres, les deux premières, évaluées au coût amorti et les deux dernières, évaluées à la juste valeur :

  • les prêts et créances

  • les actifs et passifs détenus jusqu'à l'échéance

  • les actifs et passifs disponibles à la vente

  • les actifs et passifs à la juste valeur par le résultat

Le choix entre les différentes catégories dépendait uniquement de la nature des instruments financiers concernés et de l'intention de leur propriétaire. Transférer un titre d'une catégorie à l'autre ne pouvait se faire que dans des circonstances très exceptionnelles, lorsque ce n'était pas purement et simplement interdit.

Mais la pression des banques rencontrant des difficultés d'évaluation des actifs dans un marché inactif, celle des gouvernements sommant les normalisateurs de réagir et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, sont autant de facteurs qui ont conduit l'IASB et le FASB à réagir dans l'urgence, au mépris des procédures d'élaboration traditionnelle (due process).

Une nouvelle procédure, plus rapide, appelée "Fast Track", sera utilisée pour permettre aux normalisateurs de réagir.

De ce fait, deux types de mesures seront publiées afin de préciser les modalités d'application de la juste valeur aux instruments financiers, en situation exceptionnelle.

  • L'autorisation de reclassement de certains titres de la catégorie des titres destinés à la vente (trading book), vers celle des titres détenus jusqu'à l'échéance (banking book), permet à l'IASB de s'aligner sur son homologue américain, le FASB. L'argument selon lequel il y aurait une distorsion de concurrence entre banques européennes et banques américaines est ainsi écarté.

    Mais ce reclassement reste subordonné au fait que les titres concernés respectent les conditions de comptabilisation de la catégorie d'accueil.

    Un titre classé dans la catégorie des titres détenus jusqu'à l'échéance, ne pourra plus être cédé avant l'échéance. La sanction du non respect de cette obligation de conserver les titres est appelée "tainting" : la catégorie des titres détenus jusqu'à l'échéance ne peut plus être utilisée pendant trois exercices dont celui en cours.

  • Des clarifications sont apportées, concernant l'application du principe de juste valeur (ou Fair Value), dans le cadre d'un marché inactif.

    L'IASB donne ainsi la possibilité de calculer la juste valeur en fonction d'un certain nombre de données internes, définies par le management, sur la base des flux économiques futurs ou d'un taux d'actualisation, en tenant compte des risques encourus. La valeur des transactions ne sera plus le seul indicateur, ce qui permet d'écarter les ventes forcées, dont le prix est anormalement bas.

Ce reclassement autorisé dès le mois d'octobre et avec effet rétroactif au 1er juillet 2008 pour les reclassements effectués avant le 1er novembre 2008, ne sera pas utilisé par les banques françaises(3).

Après cette date, tous les reclassements devront se faire à la juste valeur de la date du reclassement.

Ces assouplissements de la norme IAS 39 n'ont pas été jugés suffisants par les gouvernements qui ont continué à faire pression sur les deux normalisateurs afin qu'ils repensent leurs normes. Et s'il n'est pas question d'abandonner le principe de la juste valeur, on se dirige tout de même vers une réforme dont la première étape, qui concerne IAS39, est annoncée pour l'été 2009.

... Au projet de modification d'IAS 39

Un exposé sondage concernant la révision de la norme IAS 39, sera consultable sur le site de l'IASB, et permettra aux intéressés de laisser des commentaires pendant plusieurs mois (jusqu'en décembre).

Un calendrier en trois phases est donc d'ores et déjà prévu, de la modification des catégories d'instruments financiers (pour n'en retenir que deux, dès 2009), à la révision des principes de la comptabilité de couverture, en passant par les instruments de dettes, pour 2010(4)

Parmi les modifications à venir, on peut par exemple citer la suppression de l'interdiction du reclassement et celle de la sanction spécifique, le "tainting".

D'ici à 2012, toutes les normes touchant aux instruments financiers devraient être révisées, y compris la norme IFRS 7 concernant les informations à donner sur les instruments financiers. Le but de l'IASB est d'assurer une information suffisante des investisseurs, qui sont et resteront, les destinataires privilégiés des comptes annuels établis selon les normes IFRS.

Plus d'infos 

(1) : Juste valeur ou non : un débat mal posé, Analyse financière n°30, 2009, p.11 et s.

(2) : Le comptable est-il coupable ? Nicolas Véron, Revue d'économie financière, Hors série 2008, p.273

(3) : Normes IFRS, Posons le débat, revue banque n°709, janvier 2009, p.29 à 45

(4) : Lettre omnidroit du 29 juillet 2009 p.15 et 16

  •  Site de l'IASB
  • Rapport d'information (Baert-Yanno) relatif aux enjeux des nouvelles normes comptables
  • Une refonte de la norme IAS 39 annoncée pour l'été - Option finance n°1034 p.15
  • IFRS : Les normes comptables sont-elles un accélérateur de crise ? JCPE n°23, juin 2009, 1580
  • Juste valeur ou non : un débat mal posé, Analyse financière n°30, 2009, p.11.
  • Le comptable est-il coupable ? Nicolas Véron, Revue d'économie financière, Hors série 2008, p.273 (ou sa version anglaise : Fair value accounting is the wrong scapegoat for this crisis
  • Normes IFRS, Posons le débat, revue banque n°709, janvier 2009, p.29 à 45 L'IASB face à la crise financière, Revue Banque, novembre 2008 p.92
  • Evolutions des normes comptables internationales IAS 39 et IFRS 7, Bulletin Joly Bourse, 01/04/2009,n°2, p.147 Lettre omnidroit du 29 juillet 2009 p.15 et 16



Sandra Schmidt
Rédactrice sur Compta Online de 2014 à 2022, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.