Les experts-comptables et la quête du Graal

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Au congrès de l'Ordre, partout autour de nous dans la profession, tout le monde semble faire de l'IA. C'est le graal de l'expert-comptable car l'IA lui ouvrirait les portes des missions de conseils.

N'oublions pas que le graal apporte la vie éternelle aux c½urs purs... et la mort subite à défaut.

Car la réalité est là. Ce que nous facturons le plus, historiquement, et encore aujourd'hui, ce sont des bilans, des feuilles de paie, et des formalités juridiques. Les publications du CSOEC sur le sujet sont sans équivoque.

Entre poudre de perlimpinpin et machine à cash

Face à cela, les éditeurs ne nous proposent que des solutions pour faire... des bilans, des paies, et des AG. Alors oui bien entendu, une myriade de petites startups voient le jour. Des comptabilités en ligne, des reconnaissances d'écriture, des archivages électroniques... Mais on reste quand même toujours sur des offres qui nous permettent de faire mieux, ou plus vite, ce que nous faisons déjà. Ce qui dans la réalité est impossible à refacturer au client (imaginez-vous expliquer à votre client que vos prix vont augmenter parce que ses factures vont être dématérialisées...).

Nos éditeurs nous font des promesses de plus en plus alléchantes mais restent pour la plupart fermés sur eux-mêmes. Nous devons multiplier les outils, multiplier les coûts. Et les résultats sont souvent peu abouti : on est très loin de ce qu'on pourrait faire si on utilisait vraiment intelligemment toutes les technologies de 2019. Quand on questionne un éditeur métier sur les améliorations à faire, la réponse ne varie pas : « c'est dans la roadmap ». Oui. Et donc ? Mon chèque, je le mets dans la roadmap, aussi ?

Quand une solution se démarque, il y a fort à parier qu'il ne faudra pas longtemps pour qu'elle soit rachetée par un éditeur institutionnel. Et qu'il mettra en standby les développements.

Chant du cygne ou chant des sirènes ?

Les outils dont nous nous servons plantent tous les jours. Oui, de ce fait, nos collaborateurs restent plus tard, ou viennent plus tôt, pour faire face à ces bugs systématiques. Oui nous freinons avec les deux pieds pour vendre de nouvelles missions, tant les outils pour les effectuer n'existent pas encore. Ou bien parce que nos collaborateurs ne sont pas formés aux métiers de demain. Et alors qu'ils sont au bord du burn-out pour certains, il serait mal venu de leur dire qu'en plus de leur travail on va devoir les envoyer à l'école.

L'IA se nourrit de données. Ce sont nos collaborateurs qui alimentent l'IA. Ils apprennent aujourd'hui à l'IA des éditeurs métiers à comptabiliser les factures et permettent d'améliorer les algorithmes. Et en plus... on paye pour ça. Comment cela va se passer lorsque ces IA sauront parfaitement travailler sans nos collaborateurs ? Croyez-vous vraiment que ces éditeurs métiers vont continuer à passer par la profession ou bien vont-ils nous remplacer ?

La quête du Graal chez les Monty Python

Nos ministères de tutelle semblent nous abandonner.

Car ce qui est « génial », c'est que non seulement nous avons du mal à faire comprendre, et à facturer notre travail aux clients, mais en plus notre ministre de tutelle annonce haut et fort qu'il veillera personnellement à ce qu'on ne facture rien lors du passage au prélèvement à la source.

Mais en y réfléchissant de plus près, méritons-nous sincèrement toute leur attention ? La thématique du Congrès de 2019 est l'EC au c½ur des flux. Mais les experts-comptables se sont-ils vraiment positionnés ainsi ? Qui a créé le FEC ? L'Administration fiscale. La DSN ? Les organismes sociaux. Nous sommes tributaires des ministères, et des éditeurs, qui nous poussent à perdre de plus en plus de temps à gérer des données de formats tellement multiples. Le Ministère de l'Économie nous sort le FEC, et tout le monde s'y met ? Idem pour la DSN ? Nous allons commencer à faire des choses sympas avec ces données normalisées. Mais je suis et reste tellement frustré que ce ne soit pas le CSOEC, la CNCC ou je ne sais quelle autre institution qui nous représente, qui veille à nos intérêts, qui ait créé de tels standards. Car encore une fois, ces standards de fichiers ont été créé par les Administrations, pour les administrations. Et l'expert-comptable arrive encore une fois en dernier, à chercher à utiliser au mieux ce qui pourrait avoir de la valeur.

J'ose espérer que le congrès 2019 sera à même de nous proposer des normes, des standards, non pas de dossiers de travail, mais bel et bien de fichiers, et d'algorithmes. Les articles sortent de toute part sur l'Éthique et la machine. J'ose espérer que la déontologie au c½ur des flux sera étudiée. Que des propositions seront faites. Que des outils opérationnels nous seront proposés à utilisation immédiate.

Et enfin, j'ose espérer que le CJEC se positionnera clairement sur les enjeux de la transformation numérique que nous subissons aujourd'hui plus que nous ne la maîtrisons pour le moment, enfin, me semble-t-il.

La vie éternelle ou la mort subite ?

Nous avons des investissements à faire. En formation sur les soft-skills. En appropriation de l'interprofessionnalité. En outils, en proposition de valeur. Tout notre business model peut être à revoir, à revisiter, encore et encore. Nous avons à créer nos propres outils, pour ne pas nous faire déposséder des données de nos clients, et de toute l'intelligence de nos collaborateurs qui enseignent sans le savoir à la machine, tous les jours un peu plus. OUI, mais tout cela a un prix.

Un mémorialiste qui réussit sa soutenance est confronté à une situation intenable aujourd'hui dans ce contexte. Il doit s'endetter pour racheter les parts d'un cabinet qui vaut quoi finalement ? Cet emprunt laissera quelle marge de man½uvre pour faire des investissements ? Est-ce vraiment intelligent de se départir de 100% de sa capacité de financement, pendant les dix prochaines années, pour payer du passé, se privant ainsi d'investir dans l'avenir ? 10 ans. Vous imaginez ? Il y a 10 ans, le premier Iphone était à peine dévoilé par Steeve Jobs. C'était il y a si longtemps...


La question est posée.

En espérant... simplement, et humblement, que de la conscience collective puisse naître une intelligence toute aussi collective.


Romain Froment, expert-comptable au sein du cabinet ACC à Saint-Raphaël