La norme blanchiment

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Depuis la loi du 11 février 2004, les professionnels de l'expertise-comptable font partie intégrante du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Le récent décret de 15 janvier 2010 a conduit le Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables à réécrire l'ancienne norme blanchiment appelée norme « 116 » pour la mettre en conformité avec le nouveau référentiel normatif de la profession.

L'Ordre a bien évidemment en charge le contrôle de la correcte application de cette norme intégrée au recueil des normes approuvé par le Conseil Supérieur lors de sa session du 7 juillet 2010.

Cette norme apporte notamment :

  • un ensemble de définitions,
  • une obligation d'identification,
  • une obligation de vigilance.

Dès lors, ce texte induit un certain nombre de modifications, tant sur le plan des dossiers de travail que sur le plan de l'organisation même de la structure d'exercice professionnel.

Les définitions

La norme définit 7 notions que nous allons reproduire ci-après :

Blanchiment : il suppose un mouvement financier. Le délit est constitué par celui qui contribue à donner une apparence légale à des fonds provenant d'activités illégales, autrement dit provenant d'une infraction. Ce délit est dit « aggravé » lorsqu'il est commis de façon habituelle ou en utilisant les facilités que procure une activité professionnelle, ce qui est le cas de l'expertise-comptable.

Client : il s'agit d'une personne physique ou morale avec laquelle le professionnel est susceptible ou a conclu un contrat de prestation (lettre de mission).

Bénéficiaire effectif : cette notion désigne une personne physique détenant directement ou indirectement plus de 25 % du capital ou des droits de vote du client. Le terme recouvre également une personne physique qui détient en droit ou en fait un pouvoir de direction.

Soupçon : cette notion renvoie à l'aboutissement d'une démarche intellectuelle portant sur des anomalies constatées issues d'éléments objectifs et subjectifs relatifs au client, à son activité et aux opérations qu'il effectue.

Relation d'affaires : il s'agit tout simplement de l'exercice par le professionnel d'une mission confiée par le client dans le cadre d'une lettre de mission.

Financement du terrorisme : il vise la gestion ou la fourniture de fonds sans l'intention de les utiliser ou en sachant qu'ils sont destinés à des fins terroriste. C'est donc la destination des fonds qui est privilégiée et non plus l'origine.

Fraude fiscale : c'est le fait de se soustraire partiellement ou totalement à l'impôt. Son seuil de déclenchement est très bas puisqu'il est théoriquement de 153 euros.

Les obligations

Obligation de vigilance

Cette obligation se décompose en trois niveaux :

  • Allégée,
  • Normale,
  • Renforcée.

Afin d'adapter le niveau de vigilance, la connaissance de chaque dossier est un pré-requis indispensable. La structure d'exercice professionnel veillera donc à mettre en place une procédure de classement de son portefeuille clients pour exercer le niveau de vigilance requis. Nous voyons aisément que cette approche se base sur la notion de risque et donc du jugement du professionnel.

Obligation d'identification

Il s'agit d'une nouveauté sur le plan du formalisme de la mission ; avant la signature de la lettre de mission ou au plus tard avant de débuter les travaux, le professionnel de l'expertise-comptable doit :

  • procéder à l'identification du client : pour une personne physique il s'agira d'un document d'identité officiel en cours de validité avec photographie (exemple : carte nationale d'identité), pour une personne morale il s'agira de tout acte ou extrait de registre officiel datant de moins de trois mois (exemple : extrait Kbis),

  • procéder, le cas échéant, à l'identification du bénéficiaire effectif : à la lueur des éléments recueillis lors de l'identification du client, le professionnel apprécie la justesse de l'identification du bénéficiaire effectif.
    Le professionnel est donc susceptible de demander au client une déclaration écrite du client (ou de son représentant légal). S'il ne parvient pas à obtenir d'éléments suffisants à l'identification du bénéficiaire effectif, le professionnel de l'expertise-comptable est susceptible de renoncer à proposer ses services ou à défaut d'exercer une vigilance renforcée sur le dossier.

  • recueille tout élément d'information sur ces personnes qu'il juge pertinent.

Obligation de vigilance à l'égard des opérations réalisées par le client

La norme précise que le professionnel « met en ½uvre les diligences [...], notamment les normes professionnelles applicable à la mission ». De ce fait, ce dernier n'a pas à effectuer des recherches spécifiques destinées à déceler des opérations susceptibles de comporter un risque de blanchiment sauf, bien évidemment, s'il constate des anomalies ou a un soupçon.

Le texte ajoute que lors d'opérations complexes, inhabituelles ou d'un montant anormalement élevé, le professionnel exerce alors une vigilance renforcée sur ces points et collecte les informations nécessaires à la justification de l‘origine des fonds et l'identité des bénéficiaires.

Cette obligation de vigilance est naturellement exercée pendant toute la durée de la mission et doit être adaptée au besoin.

Obligation de documentation

La norme blanchiment encadre clairement la documentation du dossier ; ainsi, le professionnel conserve dans son dossier tous les documents relatifs à l'identité du client et du ou des bénéficiaires effectifs pendant toute la durée de la relation d'affaires et pendant les 5 ans suivant la fin de cette dernière.

La documentation est essentielle puisque c'est elle qui justifie du niveau de vigilance appliqué au dossier.

Obligation de déclaration

Cette obligation porte sur la déclaration TRACFIN qui doit être déposée par le professionnel à l'issue de la collecte des informations détaillées ci-avant. Cette déclaration porte sur :

  • des opérations mettant en jeu des sommes dont il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu'elles sont issues d'une infraction ou participant au financement du terrorisme,
  • des opérations ou des sommes d'argent dont il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une fraude fiscale.

Cette partie de la norme est très importante car elle utilise des termes précis tels que « soupçon » ou « bonne raison de soupçonner » qui induisent qu'il ne peut y avoir de déclaration de confort. Autrement dit, il est nécessaire de motiver la déclaration par une documentation adéquate et pertinente. De plus, elle doit être effectuée au bon moment.

Il est impératif de préciser que la déclaration TRACFIN est confidentielle. Il faut donc que sa conservation soit sécurisée. Autrement dit, le document ne doit pas être conservé dans le dossier de travail, ni dans le dossier permanent. La structure d'exercice professionnel privilégiera donc une armoire sécurisée pour protéger les déclarations. Quelques « dérogations » étaient néanmoins nécessaires ; ainsi les professionnels de l'expertise-comptable, les commissaires aux comptes et les avocats appartenant à un réseau ou à une même structure d'exercice professionnel peuvent s'informer mutuellement de l'existence et du contenu de la déclaration. Ces informations ne peuvent, en outre, être échangées qu'entre personnes soumises aux mêmes obligations en matière de secret professionnel et tenues à l'obligation de déclaration.

Obligations relatives aux procédures de contrôle interne à mettre en ½uvre au sein des structures d'exercice professionnel

Comme l'analyse de la norme montre clairement qu'une réflexion est à mener pour mesurer le risque de chaque dossier et appliquer le niveau de vigilance adapté. Dès lors, il semble naturel de mettre en ½uvre une procédure de contrôle interne au sein de chaque structure d'exercice professionnel. Ainsi, elle doit désigner :

  • Un responsable de la mise en place et de suivi du système d'évaluation et de suivi des risques et procédures correspondantes.
  • Un correspondant en charge de diffuser les informations émanant de TRACFIN.

Elle doit également élaborer une classification de son portefeuille clients suivant le schéma développé précédemment.

La procédure relative au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme porte notamment sur :

  • L'évaluation du risque sein de l'entité cliente,
  • La mise en ½uvre des mesures de vigilance,
  • La conservation des documents liés à l'identité du client et du bénéficiaire effectif,
  • Les modalités d'échange d'information au sein de la structure d'exercice professionnel,[PUCE1]Le respect de l'obligation de déclaration individuelle à TRACFIN,
  • La mise en ½uvre des procédures de contrôle internes à la structure d'exercice professionnel,
  • L'organisation de la conservation et de la confidentialité de la déclaration TRACFIN.

Obligation de formation

La structure d'exercice professionnel doit assurer l'information et la formation des professionnels de l'expertise-comptable ainsi que des collaborateurs. Ainsi le plan de formation de la structure doit intégrer une mise à jour régulière de leurs connaissances tant en matière de réglementation que de procédures applicables. Enfin, le professionnel tiendra compte de l'ensemble de ces notions lors du processus de recrutement des collaborateurs.

Cette nouvelle norme induit donc des conséquences qui mettent en avant l'approche par les risques, bien connue des commissaires aux comptes. Mais cette approche s'applique aussi bien aux clients qu'à la structure d'exercice professionnel. Autrement dit, les structures d'exercice professionnel ont tout intérêt à mettre à jour leur manuel de procédures pour justifier de la mise en ½uvre de cette partie de la norme.

Par ailleurs, le professionnel de l'expertise-comptable doit veiller à la formation de ses équipes car il est bien évident que la vigilance, même allégée commence à la saisie des pièces comptables. Or, l'opérateur (trice) de saisie n'est pas forcément sensibilisée au phénomène de blanchiment, il ou elle devra alerter le responsable de dossier sur des mouvements qui peuvent lui paraître étrange. Ce même responsable devra également savoir le présenter au professionnel de l'expertise-comptable.

Le problème que pose cette norme est psychologique puisque le professionnel doit instaurer une relation de confiance, terme d'ailleurs couramment utilisé en introduction de la lettre de mission, et tout de même se poser la question de « l'honnêteté » du client. De plus, le professionnel est astreint au secret professionnel, pour autant, la loi lui impose de déclarer des éléments qu'il est possible de qualifier de confidentiels.

Nous voyons facilement que ce phénomène peut entraîner une certaine « psychose » si le problème n'est pas abordé dans le bon sens. Il paraît donc préférable de prendre le temps d'effectuer la classification des dossiers et de les documenter comme le prévoit la norme. Au final, le professionnel constatera certainement que les dossiers « sensibles » ne constituent pas la majorité du portefeuille.

En effet, quand on analyse les schémas de fraudes certaines méthodes sont couramment utilisées :

  • Le placement : il consiste à transformer les espèces par le biais d'achats de biens. Ce système permet d'injecter dans les circuits financiers d'importantes sommes,

  • L'empilage : il consiste à dissimuler les flux financiers à travers une multitude d'opérations successives. Le nombre important d'opérations empêche le traçage des fonds et donne une apparence de réalité économique au schéma,

  • L'intégration : il s'agit de réinjecter les sommes blanchies dans l'économie par l'intermédiaire d'opérations apparemment justifiées.

Ainsi, les zones de risques dans un portefeuille clients peuvent être détectées via ces techniques de fraudes. On notera comme zones à risques :

  • Les secteurs où le brassage d'espèces est important,
  • Les secteurs du jeu, d'objets coûteux, de l'immobilier, ..., les organismes de lutte contre le blanchiment tels que la DNLF ont dressé des secteurs d'activité plus propices aux opérations de blanchiments que d'autres.

Certains indicateurs peuvent s'avérer utiles dans la réflexion :

  • Les structures suspectes (groupes de sociétés opaques) ou ayant un objet social douteux (activités épisodiques),
  • Les opérations suspectes (transferts de capitaux, prestations immatérielles, investissements disproportionnés, ...etc.)
  • Les 16 critères définis par le décret du 16 juillet 2009 peuvent aider à classifier le portefeuille clients,

Enfin, après toute cette analyse, il paraît important de préciser les sanctions en cas de blanchiment ou de non déclaration à TRACFIN :

  • Délit de blanchiment : 5 ans de prison et 375 000 euros d'amende ou la moitié de la valeur des biens blanchis,
  • Délit de blanchiment aggravé : 10 ans de prison et 750 000 euros d'amende ou 2,5 fois la valeur des biens blanchis.

Des peines complémentaires peuvent également être prononcées.