Jean Bouquot : « Nous avons positionné les commissaires aux comptes en tant que bâtisseurs d'une société de confiance »

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Jean Bouquot, président de la CNCC de 2017 à 2020, revient sur les moments marquants de sa mandature et détaille les enjeux de la profession de commissaire aux comptes pour les années à venir.

Quel bilan faites-vous de votre mandature ?

Ce fut d'abord une période de profonde remise en cause, pendant laquelle on a mesuré le degré d'incompréhension et de méconnaissance à l'égard de notre profession, et particulièrement de son utilité. D'autant que cette période faisait suite à une autre phase de questionnement avec le livre vert de l'audit et la réforme européenne qui a suivi.

Mais je retiens aussi de ces quelques années la mutation profonde engagée par la profession. Nous avons organisé notre rebond, pour passer d'une utilité décrétée à une utilité de marché, tout particulièrement dans le domaine des TPE/PME. Je citerai par exemple les travaux menés autour de la mission Alpe, les NEP 911 et 912, l'intervention du commissaire aux comptes dans les petits groupes, ou encore la refonte du Code de déontologie.

Tout cela positionne bien les commissaires aux comptes en tant que bâtisseurs d'une société de confiance. Mais cela ne se décrète évidemment pas, il faut en faire la preuve. Pour moi, l'intérêt général ne se limite pas à une approche fonctionnarisée ou judiciarisée de notre métier. Notre rôle repose sur une connaissance intime de l'entreprise, de son secteur d'activité, des hommes et femmes qui la composent, de son environnement... notre rôle ne se limite pas à la conformité.

Nous avons aussi fait évoluer nos institutions. En travaillant de façon plus étroite avec l'Ordre des experts-comptables tout d'abord. Mais aussi avec une réforme institutionnelle profonde, qui nous permet de mieux travailler au service de nos cons½urs et confrères.

Nous avons aussi continué à construire l'avenir de la profession, avec la Commission numérique et innovation, les Hackathon de l'audit, la mise en avant de notre rôle en matière de cybersécurité, pour ne citer que quelques exemples.

On vous a parfois accusé d'avoir accepté le projet de remontée des seuils d'audit au moment de la loi Pacte. Que répondez-vous à cela ?

Cela n'a tout simplement aucun sens. Tout le monde peut témoigner, qu'en tant que président de la Compagnie, je me suis battu jusqu'au bout contre le relèvement des seuils. Cela m'a sans doute valu un certain agacement des pouvoirs publics, mais pour être franc, ça n'était pas mon souci.

Il est vrai qu'au début des discussions avec la ministre de la Justice et le ministre de l'Economie, j'ai imaginé possible une harmonisation des seuils d'audit, qui étaient incompréhensibles, décorrélés de toute réalité économique, et liés à la forme juridique de l'entreprise par exemple. Ce que j'ai voulu porter c'était donc une meilleure compréhension de ces seuils, une harmonisation.

Mais en revanche, j'ai combattu depuis le début le projet de relèvement des seuils tels qu'il a été voulu par les pouvoirs publics. J'ai d'ailleurs continué à me battre pour cela jusqu'à la fin de mon mandat, car je vous rappelle qu'actuellement il y a toujours un sujet dans les territoires ultramarins, qui n'ont pour l'instant pas été soumis à ce changement.

Vous parlez du rapprochement entre la CNCC et le CSOEC. Lors des élections professionnelles, certains y voyaient une « fusion qui ne dit pas son nom ». Que répondez-vous à cela ?

Nos deux institutions travaillent ensemble chaque fois qu'elles le peuvent, mettent en commun les moyens qui peuvent l'être, partagent un certain nombre de coûts, animent des groupes de travail commun... et tout cela avec deux professions clairement distinctes. Je ne vois tout simplement pas quelle serait l'utilité d'une fusion.

Par ailleurs, tant que nos deux professions seront rattachées à deux ministères distincts, avec la responsabilité supplémentaire que cela implique pour les commissaires aux comptes, une fusion des deux institutions n'est de toute façon pas imaginable.

Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire et économique que nous vivons ?

Les commissaires aux comptes ont tout de suite montré qu'ils n'avaient pas déserté le terrain. Nous avons été capables de nous adapter à l'ère numérique, de façon efficace, en travaillant remarquablement bien à distance. Nous avons aussi été à l'écoute des entreprises, en leur apportant des éléments d'éclairage dans cette période trouble. Il n'y a pas eu d'arrêt d'activité, bien au contraire, nos cons½urs et confrères ont redoublé d'efforts, privilégiant toujours l'explication et la pédagogie à la crainte de voir engager leur responsabilité.

Les institutions ont également été présentes auprès des pouvoirs publics, dès la première quinzaine de mars, pour aider à trouver des solutions et desserrer l'étau en matière d'application des textes, par exemple dans le domaine des assemblées générales ou celui de la prévention des difficultés des entreprises.

Vous présentez, dans votre dernier courrier à la profession, la raison d'être de la Compagnie nationale, telle qu'elle a été présentée au Garde des Sceaux, à la présidente du H3C et au Directeur des Affaires Civiles et du Sceau. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Effectivement, au cours des derniers mois, le Bureau a travaillé activement sur la raison d'être de notre Compagnie Nationale. La voici :

« La CNCC promeut les missions et les principes éthiques des commissaires aux comptes, profession d'intérêt général créatrice des conditions de confiance, de transparence et de sécurité de la sphère économique, sociale et environnementale.

La CNCC stimule l'innovation, porte la volonté de progrès de ses membres et les accompagne pour répondre aux besoins des entreprises et des marchés ainsi qu'aux attentes sociétales.

En France et à l'international, la CNCC prend part aux débats sur l'évolution de la société et sur le futur de la profession ».

Il était important de repositionner clairement le rôle de l'institution à l'avenir. Pour cela, nous avons également consulté d'anciens présidents de l'institution, et avons été accompagnés par Geneviève Férone, qui travaille sur ces sujets depuis des années. Nos interlocuteurs ont vu dans cette raison d'être une ambition pour la profession, une envie d'être acteurs de notre propre avenir, toujours dans l'intérêt général.

Vous citez également l'information non financière comme un des principaux besoins exprimés par le monde économique et la société. En quoi est-ce un enjeu pour la profession ?

La crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons a renforcé les attentes des citoyens en termes d'écologie, de climat, voire de société tout simplement. Les citoyens attendent de l'économie et des entreprises qu'elles prennent en considération ces problématiques de façon concrète. Les entreprises doivent donc pouvoir communiquer clairement autour des actions qu'elles mènent. Mais pour cela, il faut être en capacité de mesurer de façon objective et comparable leur contribution à ces sujets, avec un haut degré de confiance.

Nous travaillons donc pour participer à la définition du cadre de cette communication non-financière, mais aussi pour faire en sorte qu'il soit partagé, autant que possible, au niveau mondial. C'est une démarche complexe, qui va devoir être menée dans des délais assez serrés. Mais notre profession ne découvre pas le sujet : de nombreux commissaires aux comptes s'intéressent à la RSE depuis des années. Nous avons toutefois voulu aller plus loin en nous positionnant, avec l'IFACI, comme partenaires et cofondateurs de la première chaire sur ce thème, dirigée par Delphine Gibassier au sein d'Audencia.

Quelles sont les prochaines étapes de votre parcours professionnel ?

Tout d'abord, j'ai quitté le cabinet auquel j'appartenais. Compte tenu de la limite d'âge applicable en son sein, je ne suis plus associé du cabinet EY. Je suis toujours inscrit à la CNCC et à l'Ordre des experts-comptables, mais en tant que personne physique.

Récemment, j'ai été élu au Conseil d'administration de l'IFAC. Je suis à la fois honoré, fier et très heureux de ce nouveau mandat. Le board de l'IFAC est composé de 22 personnes représentant toutes les tendances de la profession du chiffre, dans le monde entier. On y trouve des praticiens bien sûr, experts-comptables et commissaires aux comptes, mais aussi des représentants du monde de l'entreprise (directions financières, membres de comités d'audit, etc.), et du monde académique. La composition de ce Conseil est unique à ma connaissance, et ne répond qu'à un seul objectif : faire en sorte que la profession du chiffre travaille au service de l'intérêt général, avec, au niveau mondial, le même souci de déontologie et de transparence.

Les questions sociétales et environnementales vont être au c½ur de nos travaux et je m'en réjouis. Je suis également très fier de pouvoir représenter à la fois les experts-comptables et les commissaires aux comptes, mais aussi de porter la voix de l'Europe continentale dans un monde du chiffre très fortement marqué par la culture anglo-saxonne.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.