Interview de Maxime Gauthier, directrice de la Direction générale des grandes entreprises (DGE)

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Depuis mars 2020, le fonds de solidarité des entreprises a permis le versement de plus de 24,4 milliards d'¤ à 2 millions d'entreprises. L'urgence de la crise sanitaire imposait une réaction rapide de l'État, mais les contrôles s'avèrent toutefois nécessaires pour limiter les abus et fraudes.

Maxime Gauthier, directrice de la Direction des grandes entreprises (DGE) et de la cellule constituée spécialement à cet effet, présente les méthodes de travail de cette « task force » et répond à certaines interrogations des experts-comptables.

Cette interview est publiée en deux parties.

Pouvez-vous nous présenter la cellule que vous dirigez et son action de lutte « anti-abus Covid » ?

A la demande de Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance et Olivier Dussopt, ministre délégué aux Comptes Publics, la Direction générale des Finances publiques a mis en place une cellule nationale avec deux missions : contrôler les demandes de bénéfice du fonds de solidarité et, plus récemment, contrôler les demandes au titre du dispositif « Coûts Fixes ». C'est une cellule temporaire qui exercera son activité tant que le fonds de solidarité fonctionnera.

La cellule est chargée de repérer et rejeter toutes les demandes qui ne paraissent pas remplir les conditions d'obtention des aides.

Comme vous le savez, depuis l'aide sur le chiffre d'affaires du mois de décembre, le montant versé aux entreprises interdites d'accueil du public et aux entreprises appartenant à des secteurs économiques particulièrement touchés par la crise sanitaire peut aller jusqu'à 200 000¤ par mois. Les enjeux financiers sont donc devenus beaucoup plus importants. C'est la raison de la création de la cellule.

La cellule contrôle toutes les demandes des entreprises qui portent sur des montants élevés. Les autres demandes continuent d'être contrôlées par les services de la Direction générale des finances publiques dans les départements.

Elle contrôle également l'intégralité des demandes portant sur le dispositif « Coûts Fixes » qui vient d'être créé par le décret du 24 mars 2021 pour les entreprises qui ont des charges fixes élevées non couvertes par les aides existantes. Les enjeux du contrôle sont encore plus importants puisque l'aide peut atteindre 10 millions d'¤ sur le premier semestre 2021.

La cellule a été montée très rapidement, en moins de 3 semaines, début janvier, dès que le fonds de solidarité a commencé à verser des aides jusqu'à 200 000¤.

Elle était composée au début de 50 personnes et elle vient d'être renforcée pour s'adapter à la charge supplémentaire du dispositif « Coûts Fixes ». Nous avons désormais plus de 70 personnes qui travaillent. Elle est dirigée par un pilote et 4 cadres de la Direction des grandes entreprises.

L'originalité de cette cellule est qu'elle fonctionne entièrement à distance. Elle est constituée non seulement de membres de la Direction des grandes entreprises mais aussi de membres d'autres directions de la Direction générale des finances publiques. Certains travaillent loin de l'Ile-de-France.

De plus, nous appliquons bien évidemment les consignes sanitaires du gouvernement et la plupart de nos agents sont actuellement en télétravail une grande partie de la semaine. Donc tous les processus sont entièrement dématérialisés, les réunions se tiennent online et la plupart de ses membres ne se sont jamais rencontrés.

Je dois dire que ça a été un vrai défi au départ pour les pilotes de monter aussi rapidement de toutes pièces un service avec des personnes qui n'avaient jamais travaillé ensemble et de mettre en place des processus de gestion sur un dispositif entièrement nouveau, tout en fonctionnant à distance. Le constat est que ça fonctionne bien et que cette création a été une expérience très enrichissante.

Globalement, quel bilan faites-vous de son action à cette date ? 

La cellule a un rôle difficile. Elle doit être à la fois rapide et efficace. Rapide parce que la quasi totalité des entreprises qui demandent le bénéfice du fonds y ont droit et sont en grande difficulté financière. Elles doivent recevoir l'aide financière le plus vite possible et la cellule ne doit pas s'attarder trop longtemps sur chaque dossier.

Efficace parce que le contrôle est indispensable pour s'assurer que les deniers publics sont bien dépensés et que les aides vont aux bonnes entreprises. Il faut donc détecter les erreurs et les éventuels abus, poser les bonnes questions et obtenir les justificatifs nécessaires.

Les pilotes et les membres de la cellule sont en permanence sur cette ligne de crête. Il faut s'assurer des bons montants et obtenir les bons justificatifs mais sans aller trop loin pour ne pas risquer de faire trop tarder les versements.

Après quelques semaines de fonctionnement, le bilan de la cellule est positif. Elle exerce un contrôle rigoureux lorsque des questions se posent sur une demande, pour s'assurer que les aides sont versées à bon escient. En revanche, si les premiers contrôles ne révèlent pas d'anomalies, une entreprise peut recevoir l'aide très rapidement, généralement en 5 jours, ce qui est tout de même un record pour des demandes de subvention.

En ce qui concerne les cas plus difficiles où il faut contacter les entreprises pour avoir des informations supplémentaires, la cellule a déjà traité plus de 20 000 demandes.

D'ailleurs le fonds de solidarité dans son ensemble fonctionne rapidement. Depuis mars 2020, plus de 24,4 milliards d'¤ ont été versés à plus de 2 millions d'entreprises.

Le rapport public annuel 2021 de la Cour des comptes évoque le recours à des prestataires externes, la mise en place de « filtres automatiques », ou des procédures d'instruction spécifiques pour certaines demandes : pouvez-vous nous en dire plus sur les moyens à votre disposition ? 

Comme vous le savez, toutes les demandes sont déposées en dématérialisé sur impots.gouv.fr. Par définition, toutes les entreprises qui demandent sont déjà connues de l'administration fiscale. Grâce aux équipes d'intelligence artificielle de la direction générale, des rapprochements automatiques avec les données dont nous disposons sur les entreprises sont immédiatement réalisés et toute une série de filtres est appliquée.

Ces filtres facilitent le travail en aval et surtout permettent de repérer les premiers indices de tentative de fraude. Si ces premiers contrôles confirment que la demande ne présente pas d'anomalies, le traitement est ensuite très rapide.

Dès qu'une anomalie apparaît, la demande passe en effet par cette procédure d'instruction spécifique. En général c'est lorsqu'il y a des questions sur le secteur d'activité ou sur les chiffres d'affaires mentionnés dans la demande.

Cette instruction permet de faire le tri entre les demandes qui en effet ne remplissent pas les conditions et celles pour lesquelles au contraire, grâce aux éléments fournis par l'entreprise, l'anomalie apparente s'explique. C'est par exemple le cas lorsqu'il y a eu des restructurations ou pour des secteurs d'activité qui déclarent la TVA sur la marge et pas sur le chiffre d'affaires.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.