L'intelligence artificielle dessine le monde de demain

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« L'intelligence artificielle dessine le monde de demain »

C'est par ces mots qu'a débuté la conférence de présentation du prochain CES Las Vegas 2020, qui s'est tenue au Palais Brongniart le 22 septembre dernier. Gary Shapiro, PDG de CTA et organisateur du salon CES, a brossé le tableau des nouvelles tendances technologiques, avant la tenue de plusieurs tables rondes reprenant 3 thématiques majeures :

  • les industries les plus impactées par l'IA à l'heure actuelle *
  • les modèles de partage de données (essentiellement concernant la mobilité)
  • la promotion de la diversité autour de l'IA.

Voici un compte-rendu des grandes idées échangées. Ce futur que l'on pensait si lointain est finalement... déjà là.

Avant toutes choses, il peut être utile de rappeler ce qu'est le fameux CES Las Vegas. Bien entendu, la destination fait rêver et laisse à penser qu'y aller peut rapporter beaucoup. Ce n'est pas faux !

Le CES, Consumer Technology Association, est LE rendez-vous annuel mondial incontournable des acteurs de la technologie grand public. Depuis 50 ans, c'est LE tremplin des concepteurs de nouvelles technologies, le lieu où sont introduites leurs innovations sur le marché. Le plus fameux salon CES est celui de Las Vegas qui se tient prochainement du 7 au 10 janvier 2020. Mais il y a aussi les salons de New York (7 novembre 2019) et Shangai (du 10 au 12 juin 2020).

Les grandes tendances 2020

La conférence CES Unveiled du Palais Brongniart avait pour ambition de nous mettre en appétence. En excellent orateur, Gary Shapiro a commencé par remarquer l'esprit novateur des français, nous qualifiant de « Ninja de l'innovation » et faisant par la même la promotion de son ouvrage récemment paru (Ninja Innovator).

Selon Gary, les ninjas de l'innovation sont les personnes qui contribuent à résoudre les problématiques fondamentales de l'être humain et de sa condition, celles qui concernent les secteurs clés de la médecine (vivre éternellement, ...), de la communication (si seulement nous savions communiquer, y aurait-il encore des guerres ?), des transports, et tant d'autres. Il est vrai que les entreprises françaises sont largement représentées au CES.

Les questions existentielles

Le point intéressant de ce tableau des grandes tendances des évolutions technologiques a été selon moi les questions posées par ces avancées sur nos valeurs et nos cultures.

3 grandes questions, toutes interconnectées, et qui devraient nous occuper pendant le millénaire à venir :

  • la protection de nos vies privées et du respect de nos individualités ;
  • l'encadrement ou le contrôle à mettre en place par rapport au pouvoir qui pourrait être détenu, par des entreprises privées en dehors de tout cadre légal ou sans consentement des nations (remplacement des états souverains) ;
  • le rôle des humains, ce que va devenir notre valeur ajoutée par rapport aux machines intelligentes (NDLR : on peut signaler ici l'excellent mémoire de Elisa Tomasi sur l'expert-comptable, un humain face à l'IA).

5G te voilà !

C'est d'ailleurs intéressant de voir que les initiales IA pour intelligence artificielle tendent à rester les mêmes mais pour désigner quelque chose de sensiblement différent : l'intelligence augmentée. Cette notion d'humain augmenté commence à se répandre car l'objet de ces technologies est bien là : aider l'humain, lui donner plus de capacité et notamment, des capacités de prédiction. (NDLR : sur ce sujet, nous pouvons signaler le mémoire de Romain Froment sur les chatbots, outil pour augmenter les collaborateurs et faciliter la transformation digitale des cabinets d'expertise comptable).

L'arrivée prochaine de la 5G est évidement un facteur clé du développement des nouvelles technologies. Pour rappel, la 5G apportera à l'utilisateur final plus de débit (100 Mbps en moyenne partout sur le réseau et des débits crêtes de 10 Gbps, soit 100 fois les standards actuels 4G) et une latence réduite (cible de 1 ms). En français, cela signifie plus de data, plus vite, plus connecté. Et cela va permettre l'avènement de l'IOT, internet of things (internet des objets) mais aussi l'intelligence des objets, la maison connectée et l'humain augmenté (dans le travail et la vie privée), ... ainsi qu'un recours plus massif aux technologies de reconnaissance faciale et de tracking.

Plus de data, traitées plus vite, cela permet également de mettre en place des algorithmes prédictifs de plus en plus justes et de paramétrer les objets du quotidien pour des réactions prédéterminées, selon nos codes sociétaux, dans des cités connectées (smart cities), à l'affût de tout et de tous. Ces villes existent déjà et s'appellent Toronto, Dubai ou Tel Aviv. En France, Dijon fait partie des villes qui ont pour ambition de devenir « ville intelligente ».

Le plaisir de conduire, un plaisir de vieux

L'un des premiers usages de la 5G et des réactions prédéterminées des objets auquel l'industrie a pensé est celui de la voiture autonome (cf *conférence sur les industries impactées par l'IA). Les questions émergent tout de suite, car selon les sociétés, nous n'avons pas les mêmes valeurs et règles de conduites : faut-il épargner les personnes âgées au détriment des plus jeunes lorsque l'accident survient (sociétés basées sur le respect des aînés) ? Préserver coûte que coûte les personnes dans la voiture, car après tout, le constructeur automobile privilégie ses clients ? Ou faut-il préserver l'innocent qui traverse sagement au feu rouge, qu'il soit vieux, handicapé ou terroriste au détriment de la jeune femme dans la voiture, malheureusement détournée de sa conduite par son nourrisson hurlant à l'arrière ?

Rassurez-vous la question ne se posera bientôt plus, car plus personne ne conduira de voiture. « La voiture, cela sera un peu comme avec le téléphone aujourd'hui, explique Guillaume Devauchelle, vice-président Innovation et développement scientifique du groupe Valéo, qui s'en sert encore uniquement pour téléphoner ? ». La voiture se conduira toute seule et par chance, l'IA embarquée ne boit pas, n'est pas fatiguée, n'a pas de fluctuation d'humeur, de mauvaises journées ou d'éternuement impromptu. Mais alors, qu'en sera-t-il du plaisir de conduire ? Oubliez-le aussi, il semblerait que l'avenir des constructeurs automobiles réside dans leur capacité à nous proposer des occupations dans un espace clos pendant un temps de trajet donné. Cet espace clos sera-t-il encore appelé voiture ? Il sera en tous cas non polluant, partagé et les transports seront multi modaux (scooter, trottinette, vélo en libre-service). Quant à la voiture volante ... elle est déjà là. Il n'y a qu'à suivre les avancées de notre frenchy Francky Zapata pour s'en convaincre.

Que devient l'humain, être ou ne pas être ?

L'IA combinée aux robots, aux algorithmes prédictifs et aux scenarii de réponses automatisées vont-ils nous déposséder d'une part importante de notre pouvoir sur nous-mêmes ? A quel endroit vais-je encore pouvoir « être » et exprimer mon libre arbitre ?

Ce qui est certain selon Gary Shapiro, c'est que dans 5 ans, tous les métiers que nous connaissons aujourd'hui vont changer. La formation est un enjeu crucial pour permettre à l'être humain de compter demain. De nouveaux talents, de nouvelles compétences vont émerger et être reconnue et valorisée : il s'agit de toutes les compétences purement humaines, du domaine des soft skills du type empathie, bienveillance, ou créativité.

Cet intervenant explique qu'il y a 3 grands blocs dans le monde avec des attitudes différentes par rapport à l'IA. Il y a le bloc européen, profondément protecteur de la vie privée, qui limite le nombre de data collectable et donc aussi, les avancées des recherches technologiques et des débouchés. Tout à l'inverse, le bloc asiatique, chinois, autorise massivement la collecte des data privées et implémente, connecte, par des mesures étatiques fortes, l'IA et les humains. Dans la culture asiatique, contrairement à notre culture judéo-chrétienne qui a fait émerger la notion d'individu (cf. Gaspard Koenig, ouvrage « la fin de l'individu »), l'intérêt collectif prime sur les intérêts particuliers. Il n'y a pas de politique de protection de la vie privée en Chine, les populations sont suivies sur les réseaux sociaux et sont classées en fonction de leur comportement, ce qui permet à terme un contrôle fort sur les individus. Lacie, dans l'épisode Nosedive de la série Netflix Black Mirror, en est une illustration glaçante, mais parfaite.

Et le sauveur du monde est...

Le dernier bloc décrit par Gary Shapiro, le bloc américain/canadien, serait dans une juste réflexion, dans la recherche d'un équilibre entre les intérêts collectifs et le respect des individus. Delta Airlines, compagnie aérienne américaine, justifie ainsi l'utilisation systématique de la reconnaissance faciale au détriment du respect de la vie privée. Dans certains lieux, comme les aéroports ou les écoles, cette identification automatique des individus pourrait permettre de mieux protéger les populations contre ces nouvelles violences du terrorisme ou d‘attaque de masse des détraqués de tous bords, de fluidifier le trafic, bref, de profiter à tous.

Comme tout progrès, ces technologies au potentiel immense ne sont pas, en tant que tel, bonnes ou mauvaises. Comme tout progrès, le danger est dans l'utilisation qui en sera faite et par qui (état ou société privée, individu, groupe). Comment organiser notre société demain ? Comment garantir un juste équilibre ? Faut-il partager les data et si oui, comment ? A qui appartiennent-elles ? Et, question plus pratique et plus connectée au sujet CES, comment en faire un business ? (cf conférence « partage de données et écosystème de la mobilité »).

Les futurs business

La garantie du respect de notre vie privée représente un fabuleux espace de business. Les entreprises qui vont se développer pour accompagner les individus et tous les types de sociétés, sont les sociétés de demain. Il semble ici que l'expert-comptable pourrait jouer un rôle déterminant et s'assurer une place pérenne pour le futur. Les technologies se développent et elles suscitent encore l'intérêt d'un trop petit nombre de personnes.

Autre domaine fortement impacté par la 5G et l'IA, le domaine de la santé digitale. Ici, l'IA a gagné en crédibilité, prouvant facilement la supériorité des algorithmes sur l'humain en matière de détection des pathologies via scanner/radiologie par exemple. Isabelle Ryl, professeure et directeur de PRAIRIE, Inria explique ainsi que l'IA permet de mieux analyser les effets secondaires des traitements pharmaceutiques. En effet, dans ce domaine, les chercheurs sont confrontés directement à l'humain, qui a tendance a parfois prendre plus de médicaments que ce que les médecins le leur prescrivent. Cela faussait jusqu'à présent les résultats des études. La mise en place d'une IA, avec un algorithme dédié, traitant une masse énorme de data sur le sujet, permet de mettre en évidence les patients qui ne respectent pas les ordonnances, pour les sortir des résultats des études.

La 5G impacte aussi déjà l'agriculture. Des capteurs dans les champs, connectés aux stations météo, peuvent permettre en temps réel de contrôler l'arrosage (réduction des coûts et protection de l'environnement). L'agriculture devient une activité de geek avec des agriculteurs connectés, des robots farmer, des drones et des capteurs de sols.

La guerre du streaming est annoncée avec Apple TV, Disney, HBO max, NBC Universal. Les écrans vont devenir de plus en plus grand, ceux des télévision (TV 8K) et de nos téléphones. Comment retrouver le réel entre réalité virtuelle (la norme est déjà de 8 caméras, c'est-à-dire tellement plus que ce que nos yeux peuvent voir en même temps...) et réalité augmentée (lunette google par ex, maintenant contrôlée astucieusement par une bague) ?

La conférence sur les modèles de partage de données s'achève sur un bémol. Les intervenants soulignent que seules les entreprises les plus riches pourront investir dans les nouvelles technologies et donc être actrices du marché demain. Un rapide parallélisme avec la taille des cabinets d'expertise comptable peut-il être fait ?

L'IA sera ce que tu en feras *

Enfin, cette journée dense s'est terminée par la question de la préservation de la diversité dans le monde de l'IA. Effectivement, ce milieu est globalement composé d'ingénieur, blanc et masculin. Il n'y a que 4% de noirs dans la Silicon Valley, et les LGBT sont pratiquement inexistant.

Cela pose-t-il un réel problème ? Une société peut-elle être façonnée que par une partie de la population sans risquer de perdre sa richesse ? Ce sont finalement toujours les mêmes débats autour de la diversité... et ainsi toujours les mêmes écueils.

* (excellent ouvrage de Jean-Philippe Desbiolles, IBM Watson)



Laure Abella-Honnorat est secrétaire générale d'Absoluce, réseau national d'experts comptables et de commissaires aux comptes (700 collaborateurs, 67 M€ CA).