Herve Gbego, expert-comptable qui s'engage dans la RSE, le numérique et le DAF externalisé

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Les cabinets d'expertise comptable se spécialisent et communiquent sur cette spécialisation. Certains choisissent la compétence sectorielle. D'autres choisissent de se former avec un ou plusieurs masters universitaires et embauchent des thésards pour proposer des missions à forte valeur ajoutée.

Témoignage dans un cabinet à taille humaine, spécialisé dans le développement durable.

Bonjour Hervé !
Vous êtes expert-comptable libéral et fondateur en 2011 du cabinet Compta Durable. On parle beaucoup dernièrement de la spécialisation des professionnels du Chiffre et vous vous êtes déjà positionné depuis plus de 6 ans sur la RSE et le développement durable.
Précurseur ?

Précurseur oui et peut être même un peu trop puisque le sujet n'était pas complètement mûr en 2011. Très peu de professionnels du chiffre et de cabinets s'étaient engagés dans cette voie. J'ai créé mon cabinet ex-nihilo en me positionnant directement sur ce sujet.

La réglementation nous a ensuite avantagé lorsqu'elle a obligé les entreprises de plus de 500 salariés à faire rédiger puis à faire vérifier le rapport RSE par un organisme tiers indépendant.

Nous avons aussi eu l'opportunité de demander une accréditation auprès du COFRAC, le comité français d'accréditation, en nous attachant les compétences d'une qualiticienne.

Au début, il a fallu beaucoup investir sans forcément avoir un nombre suffisant de missions dans ce domaine. Nous sommes restés plusieurs années sans rentabilité. Être précurseur dans un domaine n'est jamais facile et cela peut coûter cher mais je suis très heureux de l'avoir fait. Quant à la spécialisation des cabinets, il faut à mon sens laisser la liberté à chacun de l'organiser car justement ce n'est pas toujours simple. Chacun doit fixer le niveau d'investissement qu'il est prêt à supporter.

Nous faisions de la recherche au sein du cabinet Compta Durable et avons bénéficié depuis peu de crédit d'impôt recherche (CIR) après le financement de deux thèses. La première thèse portait sur la comptabilité de la biodiversité, la seconde portait sur les outils d'aide à la décision en matière de développement durable. Une troisième thèse sur la comptabilité carbone est en cours de financement.

Les thésards étaient en contrat CIFRE et un docteur a été embauché en CDI il y a deux ans.

Le CIR nous a permis de compenser une partie des dépenses effectuées au niveau du cabinet. Progressivement nous devenons économiquement viables.

Cette mission de vérification des rapports RSE des entreprises nous permet aujourd'hui de travailler pour de très beaux clients, d'une certaine taille que l'on appelle des grands comptes. Le chiffre d'affaires devient peu à peu intéressant.

Aujourd'hui, nous sommes un des rares pure player de cette taille dans le domaine de la RSE. Nous ne proposons que des missions liées au développement durable.

Il faut oser le faire, c'est risqué mais cela paie.

Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous orienter vers la RSE ?
Et après ?

Paradoxalement, tout est parti d'une mission que j'ai réalisé pour un de mes anciens cabinets dans deux sociétés pétrolières n'ayant pas toujours une bonne réputation en matière de RSE.

J'ai ainsi été confronté à plusieurs problématiques en lien avec le développement durable : la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, les coûts de démantèlements de raffineries.

C'était des cas concrets avec des impacts sur les comptes qui m'ont orienté vers mon sujet de mémoire de DEC. Ce sujet portait sur la gestion des coûts environnementaux en entreprise. Il m'a donné envie d'aller encore plus loin dans cette thématique.

J'ai donc intégré un master en développement durable à Paris-Dauphine avant d'intégrer et d'animer, dès 2006, plusieurs groupes de travail au sein de l'Ordre des experts-comptables sur le sujet du développement durable, de l'économie circulaire et de la RSE.

La valeur ajoutée apportée par le cabinet Compta Durable se trouve dans la comptabilité environnementale et sociale, la comptabilité matière. Le but était d'utiliser les principes de la comptabilité classique pour apporter des éléments et mieux prendre en compte le développement durable et ses enjeux dans les états financiers des entreprises.

C'est un domaine qui offre beaucoup d'opportunités, y compris pour les cabinets de petites tailles.

L'ouvrage « Mettre en place la RSE dans une PME » que j'ai rédigé donne un exemple de mission de reporting RSE dans une PME. Une mission totalement accessible aux experts-comptables.

Je m'investis également dans un sujet qui m'a toujours passionné. Il s'agit du management des systèmes d'informations et des nouvelles technologies. Dans ce cadre, je fais un master complémentaire à HEC Paris et à MinesTech.

Les enjeux du numérique dans la comptabilité, autour de l'intelligence artificielle, les blockchains, associés au big data et la manière d'utiliser ces outils pour transformer le modèle économique des directions financières et des cabinets d'expertise comptable me paraissent essentiels.

Vous êtes également engagé auprès des instances de la profession et vous êtes notamment investi dans le projet « DAF externalisé ».
Club, formation certifiante, pouvez-vous nous en dire plus ?

Ici c'est mon expérience professionnelle qui m'a amené à m'intéresser à ce type de mission. J'ai eu l'occasion de faire du management de transition et de remplacer un DAF dans une entreprise, mandaté par un cabinet d'expertise comptable.

L'objectif de la création d'une formation de DAF externalisé destinée aux confrères était de permettre à un plus grand nombre de professionnels d'accéder à ce type de missions ou de se positionner clairement dessus.

Des discussions avec des DAF à temps partagé m'ont également permis de prendre conscience de la méconnaissance des compétences de l'expert-comptable par les directeurs financiers. Pour certains DAF, l'expert-comptable s'occupe des comptes et le DAF parle de stratégie avec le dirigeant.

C'est oublier que l'expert-comptable est souvent le premier interlocuteur du dirigeant.

Il y a eu beaucoup de débats au sein de l'Ordre des experts-comptables de Paris, pour certains, l'expert-comptable n'avait rien à apprendre en la matière. Pour moi, ce n'est pas forcément une posture naturelle pour les experts-comptables.

La formation a été créée en partenariat avec une école réputée, HEC Paris, et doit permettre aux experts-comptables expérimentés, de revoir des notions qu'ils ont pu oublier (stratégie et analyse financière par exemple) puis de se positionner sur cette mission en acquérant les soft skills nécessaires. Au total, ce sont dix jours de formation qui sont proposés sur le campus de HEC, par des professeurs de HEC.

C'est une formation résolument tournée vers la pratique et la mise en situation qui permet aux experts-comptables inscrits d'accéder ensuite au réseau des anciens diplômés des Exécutives d'HEC, un vivier de contacts très intéressants pour développer son activité.

Un réseau interne à l'Ordre des experts-comptables sera créé pour ces nouveaux DAF externalisés afin de leur permettre de continuer à se former et de partager leur expérience.

Les experts-comptables dont la clientèle est principalement composée de TPE vont devoir changer un peu de cible. Pour vendre du conseil, il faudra également viser les PME, déjà entourées de consultants.

Le public de Compta Online est composé d'un quart d'étudiants de la filière de l'expertise comptable. A l'heure des révolutions technologiques et de la remise en question du business model des cabinets, un petit mot pour motiver les jeunes à démarrer ou finir leur cursus ?

L'expertise comptable est une profession réglementée qui a encore cette prérogative d'exercice. Elle fait partie des professions qui permettent encore de vivre correctement, avoir un statut social et un niveau de rémunération élevé.

Rien que pour cela, il faut motiver les jeunes à continuer mais attention, c'est aussi un métier qui va fortement changer dans les années à venir.

Il faut bien sûr se former sur la base, mais il faut surtout anticiper les évolutions.

L'expert-comptable va inévitablement intégrer une compétence autour des nouvelles technologies. Travailler sur de la donnée comptable ou de la donnée financière n'est plus possible sans outils d'analyse, de prédiction, d'intelligence artificielle.

Il ne s'agit pas de devenir des informaticiens mais de maîtriser les systèmes d'informations. Oublier les tâches manuelles et avoir une capacité d'analyse, surfer sur ces technologies pour travailler différemment est indispensable.

La blockchain va devenir ce qu'a été le web pour internet. C'est une révolution qui s'annonce autour de la manière dont nous allons opérer et enregistrer des transactions dans le futur. Il y a un risque de désintermédiation assez fort qu'il faut absolument surveiller. La blockchain touche au marché de la confiance et de la certification, sujets qui nous concernent au plus haut point.

Les jeunes vont devoir anticiper ces changements, avoir beaucoup de curiosité, être inventif et surtout, oser et tester des idées même avant de les mettre sur le marché.

Je vois un avenir radieux qui va beaucoup changer le métier.



Sandra Schmidt
Rédactrice sur Compta Online de 2014 à 2022, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.