Guichet unique et formalités juridiques : le constat d'un greffier du tribunal de commerce

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Depuis l'entrée en vigueur du guichet unique le 1er janvier 2023, les experts-comptables et les instances ont remonté d'importantes difficultés concernant la déclaration des formalités légales de leurs clients.

Afin d'avoir une vision globale de cette situation, la rédaction de Compta Online souhaitait également recueillir le point de vue des greffiers. Quels impacts immédiats ces problèmes techniques ont sur leurs activités ? Quelles pourraient être les répercussions sur le traitement des formalités à court terme ?

Philippe Bobet, ancien président du Conseil National des greffiers et actuellement greffier au tribunal de commerce de Paris répond à nos questions.

Quel constat faites-vous de cette situation ? 

Beaucoup de dossiers ont été déposés fin décembre via Infogreffe, ce qui nous a permis de vivre sur ce stock de dossiers en cours mais ils sont maintenant tous traités. Il y a très peu de nouveaux dossiers modificatifs ou de radiations qui rentrent depuis janvier.

A fin janvier 2023, on constate que les radiations et les modifications ont été particulièrement impactées, avec seulement 25% du nombre de dossiers attendus en réception. Les immatriculations ont fonctionné un peu mieux mais on constate tout de même une baisse du nombre de dossiers de près de 40%.

L'attaque informatique subie par le guichet-entreprises, qui devait être le moyen de secours du guichet unique, n'a pas amélioré la situation.

Pour vous donner un ordre d'idée, habituellement le greffe du tribunal de commerce de Paris gère en moyenne 1 200 dossiers par jour, toutes formalités confondues. Sur les trois premiers jours de la semaine du 23 janvier, nous avons eu une seule demande d'immatriculation (contre plus de 200 dossiers habituellement).

Pour la journée du 24 janvier en particulier, nous avons reçu 214 dossiers en tout. 86 dossiers transmis via le guichet-entreprises, 128 dossiers via Infogreffe (sociétés civiles uniquement) et aucun dossier provenant du guichet unique.

Nous avons constaté également un nombre beaucoup plus important de refus, plus de 70%, ce qui est deux fois supérieur à la normale. Les déclarants doivent essayer de « forcer » pour que la déclaration passe dans le flux mais derrière nous sommes obligés de refuser ces dossiers qui ne sont pas correctement constitués.

C'est assez surprenant car sur un nouvel outil nous aurions dû être à un même niveau de refus.

Avez-vous dû réorganiser vos services en raison de cette baisse d'activité ?

Concrètement, une vingtaine de collaborateurs n'ont plus d'activité. En interne, nous avons dû réaffecter 7 personnes dans d'autres services. Nous demandons aussi aux collaborateurs d'arriver le matin à 9h et de quitter leur poste à 15h. 

Par exemple, ce jour nous avons 46 dossiers à traiter. Cela représente le travail quotidien de deux personnes seulement. En temps normal, une quarantaine de personnes travaillent quotidiennement au contrôle des formalités et on ne peut occuper qu'une dizaine de personnes actuellement. Pour ne pas avoir à faire de choix entre ces personnes, nous demandons à chacun de travailler sur des plages horaires réduites.

Nous avons également suspendu le recrutement de deux personnes en attendant que la situation s'améliore, car nous aurons sûrement à ce moment là, un pic d'activité pour traiter les demandes des professionnels qui ne peuvent aboutir actuellement.

Vous anticipez donc un afflux de demandes prochainement ?

On risque en effet d'avoir un afflux de demandes quand la situation sera rétablie ou quand une décision sera prise prochainement et on ne pourra pas les traiter en 2 jours comme nous le faisons habituellement car on s'attend à « un mur de formalités ». Nous allons élargir nos horaires de travail qui sont actuellement réduits pour y faire face mais je pense qu'un retour à la normale prendra plusieurs semaines.

On sera mobilisé à 500%. Nous ferons le maximum pour traiter notamment les formalités d'immatriculation dans un délai très court mais il risque d'y avoir un goulot d'étranglement. 

Le guichet unique était ouvert dès avril 2021, selon vous cette période de transition a-t-elle été suffisamment exploitée par les professionnels ?

Il y avait peu de dossiers qui nous arrivaient via le guichet unique avant le 1er janvier 2023, la plupart des professionnels utilisaient encore Infogreffe. En raison du faible volume sur le guichet unique, on pouvait traiter les demandes efficacement.

Comment les greffiers perçoivent-ils l'arrivée du guichet unique ?

Au mois de décembre dernier à Lille, lors du congrès national des greffiers, par la voix de notre président Thomas Denfer, nous avions proposé de continuer d'utiliser Infogreffe sous une autre appellation, choisie par les pouvoirs publics, et de le présenter comme l'outil national pour la création d'entreprises.

Étant soumis à un devoir de réserve, il est difficile pour les greffiers de se prononcer pour ou contre le guichet unique. Il aurait peut-être fallu commencer par une région ou une typologie de formalités particulières plutôt que de supprimer immédiatement l'ensemble des 1 600 CFE et points d'accueil car cela pose aussi le problème de la suppression de l'accueil physique. C'est un point important, notamment pour les sociétés civiles qui sont des sociétés familiales car ces personnes se présentaient souvent à nos guichets. Ces sociétés représentent quand même 15% de notre activité.

Jusqu'en 2022, on recevait environ 200 personnes par jour pour des formalités. Depuis la mi-janvier, de plus en plus de personnes reviennent au guichet car elles constatent qu'elles ne peuvent pas effectuer leurs formalités en ligne. Pour nos conseillers téléphoniques, cela devient aussi de plus en plus difficile car ils doivent expliquer aux déclarants qu'on ne peut plus les recevoir.

Cette situation est paradoxale car nous avons des collaborateurs en sous-activité dans nos services et en même temps on doit expliquer aux déclarants que nous ne pouvons plus les recevoir pour enregistrer leurs formalités.

Quelles informations avez-vous reçues ?

Le ministre M. Le Maire a indiqué au Sénat que la plateforme de l'INPI devrait être prête fin février. Notre Conseil participe à des réunions chaque semaine à ce sujet.

D'après les informations que nous avons reçues des pouvoirs publics, l'option privilégiée n'est pas le retour à Infogreffe malgré le souhait de certains professionnels et de certaines instances comme le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables.

Quels conseils donneriez-vous aux experts-comptables qui doivent déposer des formalités ?

Les experts-comptables ont une solide expérience en matière de constitution de dossiers. Le seul conseil que je pourrais leur donner est d'être particulièrement vigilants et de bien consulter en amont le site du greffe de Paris afin d'éviter de rater une pièce impérative.

Je les encourage aussi à nous contacter par mail de préférence ou par téléphone pour toute question concernant des dossiers spécifiques, à condition que nous les ayons bien reçus. Nous répondons dans un délai de 72h maximum.



Maxime Navarrete
Responsable de l'actualité professionnelle de Compta Online, média communautaire 100% digital destiné aux professions du Chiffre depuis 2003.
Après 8 ans en tant qu'éditeur juridique puis rédacteur en chef de Lexis 360 experts-comptables chez LexisNexis, je rejoins l'équipe Compta Online en octobre 2021.
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