Fusions transfrontalières : nécessité d'un agrément de l'administration fiscale ?

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La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de juger que la subordination de l'application du régime de faveur des fusions aux opérations transfrontalières à un agrément préalable délivré par l'administration fiscale était contraire à la réglementation européenne.

Conformément à l'article 210-C du CGI, les opérations d'apport (i.e. fusions, apports partiels d'actifs, scissions) par une société française à une société étrangère ne peuvent en principe bénéficier du régime de faveur des fusions prévu aux articles 210-A et suivants du CGI qu'à condition d'avoir été préalablement agréées par l'administration fiscale française.

Pour plus de précisions concernant le régime de faveur des articles 210-A et suivants du CGI, qui, en substance, permet de reporter l'imposition des plus-values générées par l'opération, nous vous invitons à consulter l'article « Régime fiscal des transmissions universelles de patrimoine ».

L'agrément précité est de droit lorsque certaines conditions sont réunies (article 210-B du CGI) :

  • l'opération est justifiée par un motif économique, se traduisant notamment par l'exercice par la société bénéficiaire de l'apport d'une activité autonome ou l'amélioration des structures, ainsi que par une association entre les parties ;
  • l'opération n'a pas comme objectif principal ou comme un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscale ;
  • les modalités de l'opération permettent d'assurer l'imposition future des plus-values placées en sursis d'imposition.

Dans une décision du 8 mars 2017, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE 8 mars 2017, Affaire C-14/16, Euro Park Service) a considéré que :

L'article 49 TFUE et l'article 11, paragraphe 1, sous a), de la directive 90/434 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, dans le cas d'une opération de fusion transfrontalière, soumet l'octroi des avantages fiscaux applicables à une telle opération en vertu de cette directive, en l'occurrence le report de l'imposition des plus-values afférentes aux biens apportés à une société établie dans un autre État membre par une société française, à une procédure d'agrément préalable dans le cadre de laquelle, pour obtenir cet agrément, le contribuable doit démontrer que l'opération concernée est justifiée par un motif économique, qu'elle n'a pas comme objectif principal ou comme l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales et que ses modalités permettent d'assurer l'imposition future des plus-values mises en sursis d'imposition, alors que, dans le cas d'une opération de fusion interne, un tel report est accordé sans que le contribuable soit soumis à une telle procédure.

Ainsi, le recours à un agrément préalable pour appliquer le régime de faveur des fusions aux opérations de restructuration transfrontalière entre sociétés établies au sein de l'Union européenne est contraire à la liberté d'établissement telle que prévue par la réglementation européenne.

Dans sa décision, la CJUE a rappelé qu'une opération de fusion transfrontalière constituait une modalité particulière  d'exercice de la liberté d'établissement, importante pour le bon fonctionnement du marché intérieur.

En outre, la CJUE met l'accent sur le défaut de sécurité juridique de la procédure d'agrément, dès lors que ses modalités procédurales ne sont pas suffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux contribuables de connaître avec exactitude leurs droits et s'assurer qu'ils seront en mesure de bénéficier du régime de faveur des fusions prévu par la Directive 90/934 (régime transposé en droit français aux articles 210-A et suivants du CGI) et de s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales.

Enfin, la CJUE relève que la procédure d'agrément de l'article 210-C instaure une présomption générale fraude ou d'évasion fiscales, dans la mesure où elle exige que le contribuable démontre systématiquement et inconditionnellement que l'opération est justifiée par un motif économique et qu'elle n'a pas comme objectif principal ou l'un de ses objectifs principaux la fraude ou l'évasion fiscales, sans que l'administration fiscale soit tenue de fournir un commencement de preuve de l'absence de motifs économiques valables ou d'indices de fraude ou d'évasion fiscales.



Clotilde Cattier, avocate spécialisée en fiscalité, inscrite au Barreau de Paris.
Contact : contact@clotilde-cattier.com

Après avoir passé deux ans chez STC Partners et six ans chez Taj (Deloitte), Clotilde a rejoint le cabinet Room Avocats, en Suisse. Elle partage son temps entre Paris et la Suisse.

Ses principaux domaines d'intervention, en fiscalité française et internationale, sont les suivants :

  • fiscalité patrimoniale (restructuration de patrimoine, transmission de patrimoine, acquisition/détention/cession de biens immobiliers, etc.) ;
  • fiscalité des particuliers (imposition des cadres internationaux et des dirigeants, traitement fiscal des pensions de retraite versées sous forme de capital, etc.) ;
  • installation en Suisse de personnes physiques et de sociétés ;
  • fiscalité générale des entreprises (restructurations, assistance à contrôle fiscale, intégration fiscale, problématiques de remontée des liquidités, etc.) ;
  • fiscalité immobilière (fiscalité des marchands de biens et des promoteurs immobiliers) ;
  • fiscalité internationale (transactions transfrontalières, traitement fiscal des flux internationaux, etc.) ;
  • opérations de fusions-acquisitions ;
  • régularisation de la situation fiscale des français détenant des avoirs non déclarés à l'étranger.