Fraude sur le marché du carbone

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Le 1er janvier 2005, arrivait en Europe un principe novateur en matière de développement durable : les quotas de gaz à effet de serre. Ce système se veut être équitable pour chaque pays membre de l'Union Européenne sans toutefois, pénaliser les entreprises soumises à cette « autorisation de polluer ».

Mais après quelques années de fonctionnement, il a été constaté par les administrations fiscales, un dysfonctionnement dans le système. Des disparités en termes de fiscalité ont été décelées, notamment au niveau de la TVA.

Pas moins de 5 milliards d'euros auraient été détourné dans l'Union Européenne, dont environ 1.5 milliards rien que pour le fisc français, depuis 2007.

Les principes des quotas de CO2



La taxe carbone en quelques mots

C'est le protocole de Kyoto de 1997, qui a apporté l'idée d'un permis de polluer. Avec les changements climatiques qui évoluent, et les émissions de carbone qui s'accélèrent, il a été décidé de donner une limite à ces excès. C'est pourquoi, tous les pays membres de l'Union Européenne ont adopté un système de quota afin de donner un droit de polluer plus limité aux entreprises ayant des activités polluantes.

La mise en place en France résulte d'une transposition de la directive européenne 2003/87/CE 1. Ainsi, le 1er Janvier 2005, entrait en vigueur les quotas d'émission de gaz à effet de serre, dans tous les pays européens.

Dès lors, chaque quota est considéré comme « un actif non monétaire sans substance physique représentant un droit attribué par l'Etat ». Cela a permis la création d'un marché d'achat-vente de ces quotas. Les entreprises obtiennent un certain nombre de « droit à polluer ». En contre partie, elles peuvent :

  • soit en acheter si elles n'en ont pas suffisamment,

  • soit en revendre si elles n'ont pas l'utilité de tous leurs quotas.

Non seulement cela a permis aux industriels d'investir dans des machines moins polluantes, mais également de limiter les émissions de dioxyde de carbone.

C'est pourquoi, nombreux sont ceux qui assimilent ces quotas à un « pétrole vert ».

La régulation du carbone sur le marché

Dès 2005, l'Europe laisse à chaque Etat membre, la liberté de réguler le marché du carbone.

Pour la France, c'est Tracfin, le service anti-blanchiment qui dépend du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, qui va gérer ce nouveau marché. Leur nouvelle mission est de vérifier les déclarations des différentes transactions effectuées au niveau des gaz à effet de serre.

L'avantage de ce service de renseignements est de pouvoir surveiller tous les mouvements d'argent sur le territoire français. De plus, ils peuvent obtenir des données de la part des banques, des douanes, du fisc,... Mais depuis peu, c'est l'ensemble des professions du chiffre et du droit, qui ont l'obligation légale de déclarer à Tracfin tout soupçon de fraude.

Au niveau du marché boursier carbone, il y a l'organisme Bluenext qui a été créé en 2006. C'est un marché où sont négociés les quotas. Donc, une facilité pour les personnes souhaitant acquérir ou revendre leurs droits à polluer.

Même si ces organismes montrent que le marché du carbone est surveillé, il n'empêche qu'au fil du temps, des limites se font ressentir.

Les limites des quotas



Les fraudes à la TVA

La mise en place des quotas d'émission de gaz à effet de serre, part sur un principe d'harmonisation au niveau européen. En tous les cas, tel était le souhait initial de l'Union Européenne. Mais des disparités entre les Etats membres au niveau législatif, ont permis à certains de s'engouffrer dans des brèches que personne n'avait su détecter avant 2009.

Le principe de cette escroquerie est simple : les fraudeurs achetaient des quotas de CO2 dans des pays n'appliquant pas la TVA sur ces quotas, et les revendaient dans des pays où les prix étaient TTC comme la France, l'Allemagne ou encore l'Espagne. Ainsi pendant des années, les fraudeurs gagnaient sur chaque transaction la différence, équivalant à la TVA.

La découverte de cette arnaque a permis à tous de constater les différences entre les régimes fiscaux des Etats membres de l'Union Européenne.

Pendant quelques années les fraudeurs ont profité des failles du système pour empocher des millions, voire des milliards. Car en effet, selon certaines estimations, notamment Interpol, ce ne serait pas moins de cinq milliards d'euros de manque à gagner pour les pays appliquant la TVA sur les quotas de gaz à effet de serre.

Avant que la fraude n'éclate, Tracfin avait reçu différentes informations sur des transactions suspectes. Ces informations émanaient de banques ou encore, de Bluenext. Mais il a fallu du temps pour attester de la véracité des soupçons.

Dès la découverte de l'arnaque, le Gouvernement a immédiatement pris les devants en émettant un Bulletin Officiel le 11 Juin 2009 2. Ce texte stipule que les quotas en tant qu'instruments financiers dérivés, sont exonérés de la TVA. Donc, plus d'arnaque possible pour les fraudeurs !

A la parution du Bulletin Officiel, les transactions sur le marché du carbone se sont littéralement effondrées à hauteur de 90%. Autant dire, que l'ampleur de l'arnaque était réelle !

Malgré une réaction immédiate de la France, cela n'a pas empêché à beaucoup de s'enrichir de manière illégale : un vendeur de textile sur les marchés, une retraitée à la tête d'une société spécialisée dans l'achat-vente de quotas de carbone,... Mais pas seulement ! Car une fois le filon découvert, les mafias s'y sont également intéressées.

A aujourd'hui, différentes procédures judiciaires sont en cours avec les coupables présumés de cette arnaque. Hormis, ces procédures, le fisc réclame à Bluenext la somme de 350 millions d'euros, équivalant au montant de l'arnaque non remboursé par les fraudeurs. La procédure est toujours en cours.

L'escroquerie par les hackers

Mais la fiscalité, n'est pas le seul « talon d'Achille » de ces quotas. Une nouvelle escroquerie est apparue le 28 janvier 2010.

Cette fois-ci, ce sont les utilisateurs qui ont été les victimes de cyberescrocs. Les détenteurs de quotas de gaz à effet de serre ont reçu un mail provenant, soit disant, du marché du carbone. Il leur était demandé de confirmer leur identifiant et leur mot de passe. Dès lors que les utilisateurs transmettaient ces informations, les escrocs pouvaient pirater à leur guise, les comptes carbone des victimes. C'est ainsi que les pirates informatiques ont pu effectuer des opérations à leur profit. Ils ont donc, récupéré des certificats d'émission sur les comptes des victimes, et les ont immédiatement revendus. Par contre, aucune trace des escrocs qui ont tout simplement disparu sans laisser de trace !

Ce type d'escroquerie est devenue monnaie courante sur internet, et n'importe qui en a déjà entendu parler. C'est pourquoi, selon les dirigeants de Bluenext, la sécurité du marché du carbone n'est pas remise en cause. Selon certains, ce serait davantage « la naïveté des victimes qui serait en cause ».

Même si l'ampleur de l'escroquerie est moindre comparée à celle de la TVA, il n'empêche qu'un malaise se créé sur le marché du carbone. La fiabilité du système est tout simplement remise en cause par beaucoup.

Conclusion

Quoiqu'il en soit, les deux situations exposées, prouvent que le marché du CO2 doit faire face à de nombreuses attaques. Que ce soit au niveau fiscal ou encore au niveau informatique, un marché quel qu'il soit, se doit d'être fiable pour redonner confiance à ses utilisateurs.

Les fraudeurs sont partout. La moindre faille observée, la moindre faiblesse montrée, et ce sont des personnes malhonnêtes qui s'immiscent dans le système. C'est d'ailleurs le cas pour le marché carbone où les fraudeurs sont comparés à des « criminels en col blanc ».

Par ailleurs, le fait que l'Europe laisse la liberté à chacun de ses Etats membres, pour statuer sur les quotas au niveau juridique, va à l'encontre d'un esprit d'harmonisation au sein de l'Union Européenne. Initialement, l'Europe souhaitait donner une image avant-gardiste à des pays comme les Etats-Unis ou encore le Japon. Mais au vu de ces fraudes que dire de l'image du marché du CO2 face au reste du monde ?

Toutes ces limites démontrent qu'il reste encore beaucoup de travail à faire en la matière.

1Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil BOI-TVA-CHAMP-10-10-40-30 §260 et suivants



Vénaïg Le Bris est diplômée d'expertise comptable et inscrite à l'Ordre des experts-comptables de Bretagne.