L'expertise comptable à l'heure de la science des données

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Le World Economic Forum a publié courant septembre 2018 une étude prospective sur l'évolution du marché de l'emploi d'ici 2022. On y apprend la lente disparition de certains métiers, tels que les comptables, dont les compétences seront remplacées par des compétences, entre autres, en intelligence artificielle et en big data. L'étude précise également que pour être à jour, les employés français devront prévoir en moyenne 105 jours de formation, soit presque 2 mois par an sur les 3 prochaines années.

Au vu des enjeux soulevés par cette étude, il nous semble utile de définir un de ces métiers émergents, le data scientist, et de voir comment il s'intégrerait dans le paysage de l'expertise comptable.

La science des données

La science des données (ou data science) fait partie d'un ensemble plus vaste qu'est l'intelligence artificielle. La data science est à la croisée de 3 domaines :

  • le domaine d'expertise métier ;
  • les mathématiques ;
  • l'informatique.

A l'intersection de chaque domaine, il y a plus spécifiquement les sous-domaines suivants (nous les explicitons plus bas) :

  • domaine d'expertise métier + mathématiques = recherche statistique inhérente à ce domaine ;
  • mathématiques + informatique = apprentissage machine ;
  • informatique + domaine d'expertise métier = traitement des données.

Le diagramme ci-dessous en est l'illustration.

Etant tous plus ou moins à l'aise dans notre domaine d'expertise, nous allons donc plutôt nous intéresser à ces domaines moins connus que sont les mathématiques et l'informatique.

Qu'entend-on par mathématiques ?

Par simplification, il s'agit avant tout d'outils statistiques permettant les analyses suivantes :

  • recherche statistique : principalement, on utilise différentes familles de régressions pour établir des corrélations pertinentes entre les données ;
  • apprentissage machine : on parlera d'apprentissage supervisé utilisé dans un objectif de classification de données futures et d'apprentissage non supervisé pour comprendre et explorer les données (clustering ou catégorisation des données par grappes).

Qu'entend-on par informatique ?

Il s'agit de l'architecture informatique permettant le traitement de volumes significatifs de données. En effet, c'est l'essor des données qui a permis d'accroître la qualité des outils statistiques d'apprentissage machine. On parlera principalement d'écosystème Hadoop et des composants permettant le traitement de points particuliers de l'écosystème.

Et l'expertise comptable dans tout ça ?

Comme tous les secteurs, l'expertise comptable est touchée par ces évolutions technologiques. Par exemple, il existe de plus en plus d'applications d'enregistrement automatique de factures (Yooz, Conciliator, etc.) basées sur la reconnaissance de caractères. Ces applications sont entraînées à partir de bibliothèques de caractères [1] en utilisant un des outils de data science, les réseaux de neurones.

Pour les experts-comptables eux-mêmes, plusieurs pistes de réflexion sont envisageables selon les stratégies de chaque cabinet.

Imaginons un cabinet spécialisé dans le secteur des pharmacies. Ce cabinet souhaite s'engager dans une stratégie de croissance en acquérant de nouvelles pharmacies. Pour ce faire, ce cabinet aura besoin d'identifier, parmi l'ensemble des pharmacies existantes sur une zone géographique donnée, celles qui sont sujettes à changement de propriétaire.

Pour mener à bien son analyse, le cabinet dispose de 2 sources d'informations.

En interne

Les données comptables et financières de ses clients historiques. Elles constituent la matière première de l'analyse en donnant des cas réels d'étapes-clés dans la vie des pharmacies et des indicateurs financiers correspondants. Le cabinet peut ainsi identifier les signaux avant-coureurs (ou patterns) à ces étapes-clés.

En externe

La liste de toutes les pharmacies dans une certaine zone géographique, l'âge des propriétaires des officines, l'âge moyen de départ à la retraite des pharmaciens, le niveau de saturation géographique du marché, l'âge des habitants à proximité des pharmacies, la présence de médecins ou d'établissements hospitaliers, les comptes sociaux, l'information diffusée par la pharmacie ou son réseau sur internet, etc.

Ainsi, en menant une analyse de toutes ces variables pour identifier quelles sont celles annonciatrices d'un changement de propriétaire, le cabinet sera à même d'orienter sa stratégie commerciale vers les pharmacies les plus susceptibles de le rejoindre.

Le secteur des pharmacies s'y prête plutôt bien dans la mesure où le nombre d'officines est réglementé. Mais cette analyse est transposable à tout type d'activité.

En conclusion, le préalable à tout projet de data science est de définir clairement la stratégie du cabinet. En effet, dans notre exemple, nous n'avons mis en avant qu'une des facettes de la data science, à savoir l'analyse prédictive. L'expert-comptable est donc client de ces évolutions, tel que les applications de reconnaissance de caractères sur des documents visant à l'automatisation des enregistrements comptables. Mais il peut être aussi fournisseur de services à destination des TPE, PE et PME, du fait de sa connaissance directe de leurs enjeux.

[1] Exemple de bibliothèque de caractères contenant 70 000 exemples de nombres manuscrits



Laurent Lanzini
Diplômé d'expertise comptable, Directeur Associé au sein du cabinet de conseil Ailancy, cabinet spécialisé dans la transformation organisationnelle et la stratégie opérationnelle dans le secteur des services financiers (banque et assurance).