Examen de conformité fiscale : le début des grandes manœuvres ?

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Apparu en début d'année 2021, l'examen de conformité fiscale suscite déjà le débat au sein de la profession comptable. Doit-on voir ce dispositif comme une future option à la mission de présentation des comptes ou plutôt comme une mission ponctuelle à haute valeur ajoutée ? Les organismes de gestion ont-ils raison d'y voir leur avenir, au moins partiellement ? S'agit-il plutôt de la continuité naturelle de la mission des commissaires aux comptes ? Faut-il craindre que les startups de la Comptatech automatisent cette mission ?

Au milieu de ces réflexions, quelques acteurs commencent pourtant à consolider leurs positions sur ce nouveau marché.

Les experts-comptables se positionnent, avec des approches différentes

Pour Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables (CSOEC), l'examen de conformité fiscale est un enjeu capital pour la profession : « il faut [s']emparer de cette mission pour éviter que d'autres acteurs ne le fassent ». C'est aussi pour le président de l'institution, un outil de lutte contre les illégaux, et les automatisateurs.

Par ailleurs, selon le président de la commission fiscale du CSOEC, le Conseil supérieur rédige en ce moment un guide consacré à l'examen de conformité fiscale. Ce document ne sera pas validé par l'administration fiscale. Toutefois, la DGFiP se serait engagée à le relire avant sa publication. Selon Laurent Benoudiz, qui cite l'administration fiscale, il n'est en effet plus possible d'agir directement sur le cahier des charges réglementaire de l'examen de conformité fiscale, le délai de réponse ayant déjà été dépassé au moment de l'entrée en fonctions de la mandature actuelle.

La position de l'institution ordinale sur cette nouvelle mission rejoint celle exprimée dans une interview croisée donnée à Compta Online. Selon cette vision, l'examen de conformité fiscale s'assimile à une « option » à la mission de présentation des comptes annuels, proposée « à un prix raisonnable », 8 points sur 10 étant déjà vérifiés dans le cadre de la mission de présentation.

A l'IFEC, on ne voit pas les choses de la même façon. Selon Nathalie Malicet, vice-présidente de l'institut, et Guillaume Ufferte, président de la commission fiscale, l'examen de conformité fiscale doit être « une mission à part entière », à haute valeur ajoutée, un outil pour interpeller le client sur des risques spécifiques, à des moments précis de la vie d'une entreprise : cession, transmission, restructuration, point d'étape, etc. Pas question de parler de généralisation ni d'option à la mission de présentation, qui mèneraient à un nivellement par le bas, tant en termes de prestation que de tarif.

L'IFEC dit au contraire avancer dans le cadre de réunions ministérielles sur la définition d'un cahier des charges plus précis, pour que tous les intervenants réalisent les examens de conformité fiscale avec le même référentiel.

La CNCC prépare aussi un outil dédié

Dans une interview accordée à Compta Online, Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), se dit quant à lui « assez dubitatif » sur le sujet de l'examen de conformité fiscale, jugeant que les contreparties ne sont pas, en l'état, assez fortes. Il se dit « attentif aux évolutions du texte », jugeant probables de prochaines évolutions.

Cela n'empêche toutefois pas la CNCC de préparer un outil pour les commissaires aux comptes, comme le confirme Nathalie Malicet. « Dès que le projet a commencé à évoluer, nous avons démarré la conception d'un outil pour réaliser cette mission dans des conditions satisfaisantes, dans le respect de nos normes professionnelles et de notre code de déontologie ». Selon la présidente de la Commission numérique et innovation, il ne s'agira toutefois pas d'un outil automatisé, car plusieurs questions de l'examen de conformité fiscale font appel à de l'appréciation, à un jugement professionnel sur l'entreprise.

Naissance des premiers cabinets spécialisés autour de l'examen de conformité fiscale

Certains cabinets commencent déjà à s'organiser pour se positionner sur le marché de l'examen de conformité fiscale. C'est par exemple le cas d'ECF Experts, un cabinet créé spécialement autour de cette mission, par 4 cabinets d'expertise comptable existants.

Les experts-comptables de cette structure ont en effet choisi de ne pas contrôler leurs propres dossiers. Ils proposent par ailleurs aux cabinets d'expertise comptable qui ne souhaiteraient pas contrôler leurs propres dossiers de réaliser cette prestation, en leur rétrocédant une partie de la rémunération. Leur proposition inclut également une assurance permettant de faire face aux dépenses entraînées par un contrôle fiscal, ou le recours à un avocat fiscaliste pour les questions plus avancées.

Pour Mathieu Thiersé, cofondateur d'ECF Experts, « si l'examen de conformité fiscale est aujourd'hui incitatif, nous pouvons penser qu'à terme il est susceptible d'être généralisé. Si tel est le cas, les sociétés qui n'y auront pas recours risquent d'être considérées comme suspectes ».

Les OGA à la recherche d'une nouvelle mission

Pour les organismes de gestion agréés, l'arrivée de cette nouvelle mission suscite l'intérêt, après le choc de la disparition de l'avantage fiscal pour adhésion à un OGA, prévue pour 2023. Ces structures pourraient-elles tirer leur épingle du jeu en capitalisant sur leur expérience de la vérification des dossiers ? En l'état, les textes fondateurs de l'examen de conformité fiscale citent les OGA dans la liste des professions pouvant réaliser cette mission. Toutefois, selon Eric Messina, vice-président de la FCGA et président de l'OGA France Gestion, le statut des organismes agréés ne leur permet pas en pratique de proposer cette mission, notamment à des non-adhérents. Selon nos informations, un décret ouvrant cette possibilité serait toutefois attendu pour mai ou juin de cette année.

Sur le terrain, la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA) a mis à disposition des OGA adhérents un courrier type à destination des experts-comptables, que nous reproduisons ci-dessous. Eric Messina nous indique l'avoir adressé à l'ensemble des experts-comptables correspondants de France Gestion. Il souhaite ainsi proposer « un partenariat » visant à maintenir leur « rôle essentiel de conseil indépendant ». L'argument est clair : « L'ECF peut très vite devenir une contrainte pour votre cabinet, générant encore des obligations pour très peu de retour économique ».

Un examen de conformité fiscale gratuit ? 

D'autres organismes de gestion agréé ont une posture plus agressive, au moins sur le plan tarifaire. L'AGANOT, association de gestion agréée du notariat, propose par exemple à ses adhérents de réaliser chaque année l'examen de conformité fiscale gracieusement (voir communication de l'AGANOT ci-dessous).

Une position qui peut interroger, a minima parce que l'arrêté du 13 janvier 2021 prévoit, dans l'hypothèse où un rappel réalisé lors d'un contrôle fiscal porte sur un point validé dans le cadre de l'examen de conformité fiscale, « l'entreprise sera en droit de demander au prestataire [...] de rembourser la part d'honoraires correspondante ».

Une mission pour la Comptatech ?

Faut-il craindre que les automatisateurs de la Comptatech s'approprient ce nouveau marché, en automatisant l'examen de conformité fiscale, imposant au marché un modèle tarifaire low cost ? Pas si l'on en croit plusieurs responsables ordinaux que nous avons interrogés. Plusieurs questions de l'examen de conformité fiscale nécessitent en effet un certain jugement professionnel et surtout des informations autres que celles disponibles dans un fichier des écritures comptables (conservation des pièces et provisions notamment). Une analyse qui semble confirmée par les quelques entreprises de la Comptatech contactées pour cet article, et qui nous ont indiqué ne pas travailler sur le sujet à ce stade.



Julien Catanese Aubier
Diplômé d'expertise comptable, après 7 ans en tant que rédacteur en chef puis directeur de la rédaction Fiscalistes et experts-comptables chez LexisNexis, Julien rejoint l'équipe Compta Online en tant que Directeur éditorial de juin 2020 à octobre 2023.