L'évaluation des actifs immobiliers dans le cadre d'opérations d'apports en nature

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B&E Partners est un cabinet d'expertise immobilière indépendant régulièrement appelé à travailler avec les commissaires aux comptes dans le cadre d'opérations d'apports en nature et de tests de dépréciation.

Nous avons souhaité développer ici quelques méthodes expertales pour estimer des actifs immobiliers et livrer des astuces pour s'assurer de la cohérence des valeurs déclarées par les associés.

L'apport en nature

Les apports en capital peuvent être de trois types : les apports en numéraire, les apports en industrie et les apports en nature. Les apports en nature à une société correspondent à tous les biens autres que de l'argent apportés par les associés. Il peut notamment s'agir :

  • de valeurs mobilières ;
  • de biens corporels ;
  • de biens incorporels.

La réalisation d'apport en nature est une opération obéissant à un formalisme et à une réglementation juridique stricts. En particulier, si la valeur de l'apport en nature excède 30 000¤ ou 50% du capital social, ce dernier devra faire l'objet d'une évaluation par un commissaire aux apports.

Cette évaluation ne pouvant être réalisée approximativement, le commissaire aux apports mandate un expert immobilier pour estimer les biens immobiliers corporels (appartements, maisons, murs de commerces ou d'hôtels...) et/ou incorporels (fonds de commerce, droit au bail...).

 

Méthodes expertales des biens immobiliers corporels

La valeur recherchée dans le cadre d'opérations d'apport en nature est le plus souvent la valeur vénale [1]. La Charte de l'Expertise en Évaluation Immobilière, seule norme d'estimation valable en France pour les experts immobilier, donne la définition suivante de la valeur vénale :

« La valeur vénale est la somme d'argent estimée contre laquelle des biens et droits immobiliers seraient échangés à la date de l'évaluation entre un acquéreur consentant et un vendeur consentant, dans une transaction équilibrée, après une commercialisation adéquate, et où les parties ont, l'une et l'autre, agi en toute connaissance, prudemment et sans pression ».

Cette définition étant donnée, il s'agit désormais d'informer le lecteur qu'en matière d'estimation immobilière en valeur vénale il existe deux grandes familles de méthodes :

  • les méthodes par comparaison ;
  • les méthodes par le revenu.

Les méthodes par comparaison consistent à utiliser les références de transactions réalisées sur le marché immobilier pour des biens présentant des caractéristiques et une localisation comparables à celle du produit expertisé. Cette approche est utilisée tant pour déterminer la valeur vénale que la valeur locative d'un actif immobilier.

Dans un certain nombre de cas, le recours à une méthode par comparaison s'avérera délicate notamment si le bien est atypique ou implanté dans un secteur où les vente sont rares.

Sans généralité, la comparaison est souvent pertinente en matière d'immobilier résidentiel et des réflexes peuvent être mis en place par le CAC pour vérifier rapidement la cohérence de la valeur de l'actif déclarée par l'apporteur. Il est bon, pour l'immobilier d'habitation, de consulter :

Les méthodes par comparaison s'avèrent souvent délicate à mettre en place pour les actifs de rendement. Ces actifs (bureaux, locaux d'activité, bâtiment de logistique, hôtels, commerces...) sont acquis pour leur faculté à générer un loyer offrant une rentabilité.

Pour ce type de biens, on privilégiera les méthodes par le revenu qui consistent à prendre pour base soit un revenu constaté, soit un revenu théorique, puis à utiliser des taux de rendement, de capitalisation ou des taux d'actualisation. Concrètement et pour simplifier, dans le cas de la capitalisation, on obtient la valeur vénale nette acquéreur d'un actif par division du revenu (constaté ou théorique) par un taux de rendement de marché. En retranchant au résultat les frais de notaire, on obtient la valeur vénale nette vendeur.

La mise en ½uvre de telles méthodes s'avèrera plus complexe. En effet, plusieurs points nécessiteront une grande attention :

  • la nature de l'actif (local d'activité, bâtiment de logistique, commerce...) ;
  • ses spécificités de conception ;
  • la qualité de ses prestations intérieures et extérieures ;
  • sa localisation ;
  • la nature et la qualité du preneur et du bail.

Pour aider le CAC dans l'étude de cohérence des loyers et valeurs déclarées par l'apporteur, nous conseillons de consulter les sites suivants :

 

Méthodes expertales des biens immobiliers incorporels

En matière d'immobilier, les principaux biens incorporels pouvant être apporté en nature sont :

  • le fonds de commerce ;
  • le droit au bail.

Estimation du droit au bail

Le droit au bail constitue un des éléments majeurs du fonds de commerce. Il arrive d'ailleurs fréquemment que le fonds de commerces soit réduit au droit au bail. Cela est d'autant plus vrai que le commerce a traversé et traverse de nombreuses crises : gilets jaunes, réforme des retraites, terrorisme, COVID-19, concurrence des sites de e-commerce,...

L'existence du droit au bail résulte de la loi du 30 juin 1926 renforcée par le décret du 30 septembre 1953. Il ne s'agit pas d'un droit réel immobilier mais d'un droit qui né de l'alternative offerte au locataire en place à l'issue du bail, qui rappelons-le ; peut :

  • soit renouveler son bail pour une durée de 9 ans au moins avec un montant de loyer plafonné sauf motifs fondés et prévus par le législateur (art. L. 145-33 du Code de commerce) ;
  • soit percevoir une indemnité d'éviction représentative du préjudice subi.

En pratique, il existe plusieurs méthodes pour estimer de droit au bail. Nous développerons ici 2 grandes méthodes basées sur l'économie de loyer.

Ces méthodes tiennent compte de la différence de loyer qui existe entre le loyer signé en début de bail puis indexé régulièrement et le loyer de marché praticable 9 ans plus tard pour le même local.

En effet, les indices officiels de révision (ICC, ILAT, ILC) ne reflètent pas toujours la réalité de marché. Ainsi, si les loyers du secteur étudié ont augmenté plus fortement que l'indexation officielle, l'acquéreur du bail bénéficiera d'un loyer avantageux et difficilement déplafonnable pour la durée de son exploitation.

Dans un premier temps il sera donc nécessaire d'estimer cet écart de loyer par différence entre le loyer HT HC annuel de marché et le loyer HT HC pratiqué.

Les tribunaux aiment à pratiquer la méthode par « coefficient de situation ». Cette technique consiste en le calcul de l'économie de loyer que procure le bail en cours et à multiplier le résultat par un coefficient dépendant de la localisation du commerce. Les fourchettes de coefficient généralement admises (notamment dans les décisions jurisprudentielles) sont les suivantes :

  • emplacements moyens : de 3 à 6 ;
  • emplacement de premier ordre : de 6 à 10 ;
  • locaux artisanaux (généralement en situation secondaire) : 3 maximum.

Important

En matière de bureaux, bien qu'ils soient souvent loués via des baux commerciaux, les conditions de déplafonnement sont plus simples et la fixation au loyer de marché en fin de bail est « automatique ». Ainsi, le droit au bail pour ce type de locaux est souvent modéré.

Cette méthode facile d'application est une simplification d'une méthode financière que le cabinet B&E Partners privilégie pour ses études, celle « par actualisation de l'économie de loyer ».

En effet, derrière ces coefficients se cachent de nombreuses hypothèses concernant le marché (taux de rendement et d'actualisation) et le contrat de bail (durée restante à courir et évolution de l'indice de révision).

Estimation du fonds de commerce

Le fonds de commerce s'entend comme l'ensemble des biens mobiliers affectés à l'exploitation commercial d'un local. Il est composé d'éléments « incorporels » et « corporels ».

Éléments incorporels

Le premier d'entre eux est la clientèle, base de l'existence d'un commerce. La clientèle se constitue dans le temps grâce au savoir-faire du commerçant et alimente le chiffre d'affaires.

Le deuxième élément est le droit au bail. Il constitue un élément patrimonial souvent prépondérant, qui peut être quantifié et permettre ainsi une approche partielle de la valeur du fonds.

Les autres éléments incorporels comprennent :

  • l'enseigne ou le nom commercial ;
  • les licences, agréments, cartes professionnelles ;
  • les divers droits liés à la création de produits ou de concepts qui génèrent des redevances ;
  • des contrats d'exclusivité territoriale et des contrats de distribution exclusive ou d'approvisionnement.

Éléments corporels

Il comporte l'ensemble des objets utilisés dans l'exercice du commerce, soit :

  • le mobilier ;
  • l'outillage aussi bien d'atelier que de bureau ;
  • le matériel de transport.

L'ensemble de ces éléments fait l'objet d'un traitement comptable avec règles d'amortissement réglementées. Il faut y ajouter le stock, dont l'importance est variable selon l'activité.

Pour l'estimation du fonds de commerce, les experts mettent en ½uvre plusieurs méthodes dont celle « des barèmes professionnels ».

Méthode pragmatique basée sur l'observation des mutations comparables, elle privilégie le chiffre d'affaires TTC comme unique paramètre, la valeur du fonds étant obtenue par application d'un coefficient multiplicateur.

Pour appliquer cette méthode, des corrections et précautions sont prises :

  • le CA retenu est la moyenne des 3 derniers exercices après corrections de l'inflation et des variations exceptionnelles ;
  • la qualité et l'état des aménagements et du matériel sont pris en compte ;
  • les conditions locatives, en particulier le montant du loyer, constituent un paramètre plus ou moins valorisant du droit au bail dont il faut apprécier l'incidence.

NB : Il était de coutume jusqu'à ces dernières années de prendre pour base de calcul le chiffre d'affaires TTC. La jurisprudence fluctue et fonde parfois le calcul sur le chiffre d'affaires HT.

Une fois le CA retraité, il s'agira de retenir un coefficient multiplicateur. Ces ratios sont formulés par les grands éditeurs de la profession, citons les Éditions Francis Lefebvre, le cabinet d'avocat Jean-Pierre Blatter ou les Éditions Callon.

A titre d'exemple, nous citons quelques ratios dépendant de l'activité exercée :

  • Restauration :
    • Petite restauration : entre 50 et 95% du CA annuel
    • Grande restauration : entre 60 et 130% du CA annuel
  • Boulangerie : entre 50 et 110% du CA annuel
  • Bijouterie : entre 30 et 60% du CA annuel
  • Coiffeur : entre 65 et 120% du CA annuel

L'apport en nature est une opération traitée avec attention par les commissaires aux comptes. Les grandes lignes développées ici offrent aux professionnels de la comptabilité des rappels de connaissances et des indicateurs leur permettant d'apprécier les valeurs déclarées par leurs clients.

Notons qu'en matière d'estimation immobilière et lorsque les enjeux sont importants, il est toujours opportun de faire appel à un expert immobilier indépendant qui certifiera les valeurs qu'il établit.

[1] Dans certains cas, il pourra s'agir de la valeur comptable.



B&E Partners est un cabinet d'expertise immobilière indépendant et novateur intervenant dans l'estimation en valeur vénale et locative de tout type de biens (habitation, bureaux, hôtel, résidences de services, commerce, locaux d'activité...).

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