Dix propositions constructives pour l'avenir de la profession de CAC

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Eric-Jean Viste est commissaire aux comptes à Toulouse. Suite à une rencontre au bureau de Mickael NOGAL, député et vice président de la Commission Permanente des Affaires Économiques, il fait dix propositions pour la profession de commissaires aux comptes.

J'ai bien noté votre intérêt sur une réforme réfléchie au sens « exhaustive » de notre profession. Les objectifs prioritaires étant, si j'ai bien retenu nos points d'accords, une réforme qui garantirait :

1 - Un audit de qualité dans les groupes : ainsi, lorsqu'un groupe dépasserait par agrégation purement algébrique les seuils du barème (barème remonté à des seuils européens), l'intervention du CAC devrait garantir une mission couvrant toutes les filiales du groupe (contenues dans le périmètre de consolidation)

  • soit par une mission légale dans chaque structure avec un barème adapté (filiale). Nous avons pris l'exemple du 3ème transporteur français qui, si une telle réforme était engagée, se retrouverait privé de commissaire aux comptes donc d'audit légal dans toutes ses filiales en France.
  • soit par une mission fixée dans la holding mais dont les règles de fixation de prix d'intervention, seraient issues d'un nouveau barème qui garantirait, comme vous l'avez indiqué être déjà le cas dans d'autres professions, un tarif d'intervention que l'on pourrait calibrer, selon la taille du groupe. Ainsi, les dumpings rencontrés actuellement sur l'audit notamment dans le cadre d'appels d'offres, seraient évités car aboutissant inévitablement à un audit à tous prix et in fine dégradé. Une telle réforme entraîne déjà un risque très important de mise en concurrence sur les groupes maintenus dans l'audit post- réforme et détenus par des cabinets mis en difficulté par le pacte de croissance.

2 - Une obligation évidente, que ne prévoit pas le projet de réforme actuel, serait d'imposer l'audit dans les filiales d'un groupe dont la mère serait sur le sol étranger (exemple donné de deux de nos mandats filiales d'une holding suisse)

3 - Une réforme de notre barème vous est apparue quasi inévitable afin de prendre en compte une mission plus facile à calibrer et comparable d'un professionnel à l'autre.

4 - La mission d'un commissaire aux comptes qui serait libérateur de croissance en garantissant la sécurité auprès de tous les tiers qui s'appuient sur l'entreprise et ses valeurs, et ce, au sein d'une croissance vertueuse en accord avec une bonne conscience sociétale.

5 - Vous avez trouvé réducteur de limiter le commissaire aux comptes en lui interdisant toute activité commerciale ou économique extra professionnelle, excepté, l'enseignement ; j'en ai pris note. Dans un contexte comme celui-là, c'était finalement une redoutable perte de chance pour les futurs ex commissaires aux comptes.

6 - Vous avez compris la gêne évidente pour le commissaire aux comptes, introduite par l'arrivée des SAS, de ne plus avoir à alerter son dirigeant par écrit (phase 1 de l'alerte) sans perdre immédiatement la confidentialité en ayant l'obligation d'informer immédiatement le Président du Tribunal de Commerce. D'autant que pour toutes les SA, forme sociale bien plus rare dans les PME, la phase d'alerte notifiée confidentiellement au dirigeant a été maintenue. Il est ainsi facile, dans un rapport IGF, de faire dire que le commissaire aux comptes ne déclenche presque plus d'alerte dans les petites entreprises (SAS et SARL). Vous n'aviez pas connaissance du contenu de ce rapport et avez facilement perçu, par ce seul exemple, le manque de pertinence de ce dernier sur certains points. J'ai eu à vous dire en introduction combien ce rapport, à la lecture de ce dernier, a été extrêmement mal accueilli par notre profession tant il porte de discrédit à notre métier et traduit une méconnaissance manifeste de celui-ci par ses rédacteurs. Certains jeunes n'ont pas hésité sur les réseaux sociaux à parler de « honte pour la profession », de rapport « extrêmement blessant ».

Ce rapport semble garder pour objectif la démonstration que, finalement, dans les PME, et seulement dans ceux-là, les commissaires aux comptes qu'ils sont devenus après au minimum 7 ans d'études post bac... ne servent à rien ; leur utilité démarrant à partir de 49 + 1 salarié.

Pour certains professionnels, extrêmement impactés par la mesure car en exercice exclusif de commissariat aux comptes, il ne sera pas forcément possible d'occuper un nouveau marché et pour certains un nouveau métier qui est celui de l'expert-comptable comme vous le pensez.

7 - Vous partagez également notre incompréhension de chercher dans un rapport à comparer le nombre de révélation de faits délictueux auxquelles sont récemment soumis tous les professionnels du chiffre (expert-comptable compris) avec le nombre beaucoup plus restreint de révélation de faits délictueux. D'ailleurs, cette révélation, spécialité franco-française, ne devrait-elle pas dans un cadre de normalisation européenne être également supprimée ?

8 - Vous convenez également qu'une modification profonde d'un certain nombre de règles serait souhaitable afin de ne plus recourir à des structures de type SAS par seule opportunité fiscale ou sociale :

On a pu citer notamment :

  • le statut du salarié réservé au Président de SAS (le privilège de la fonction !) avec un statut dramatiquement peu protecteur du gérant majoritaire. Pour l'anecdote, un de mes clients qui a créé son entreprise et qui a aujourd'hui plus de 130 salariés n'a pas voulu endosser ce titre en signature de ses mails. Lorsqu'après 6 ans de vie de SARL, il a fallu passer de titre de « gérant » à « président » ! Il a décidé de s'appeler tout simplement chef d'entreprise... Quant-au gérant de SARL, je n'ai pas eu de mal à vous convaincre que si l'on souhaite se débarrasser du terme RSI il serait bon d'interdire tout simplement le terme générique encore bien répandu de TNS « travailleur NON salarié ». C'est typiquement une autre époque ; il faut dépoussiérer.
  • les dividendes soumis à charges sociales dans les SARL mais pas dans les SAS
  • les droits d'enregistrement différenciés selon qu'il s'agit d'une SARL ou SAS rendant très intéressant la transformation post cession pour limiter les droits dus par l'acquéreur ; l'écart pouvant être très significatif.

Ainsi, face à ces différentes évolutions souhaitables, il nous a paru presque évident qu'un véritable débat devait être ouvert pour, non pas gagner du temps, mais pour profiter d'une occasion unique de redéfinir les contours de notre profession lorsque l'on s'apprête à toucher au c½ur par un simple volet ajouté dans une loi PACTE. D'autant que cette loi n'avait pas pour objectif premier de supprimer le commissaire aux comptes dans les groupes mais de libérer la croissance et réorienter l'épargne dans un environnement sécurisé pour l'épargnant; donc en présence d'un Commissaire aux comptes.

9 - La réforme européenne de l'audit, a consacré une large autonomie aux états européens pour fixer leurs propres seuils et la réglementation de leur audit. Cette même réforme souhaitait éviter un phénomène de concentration qui serait très préjudiciable à terme alors même que la France avait su garder un audit moins concentré que dans des pays qui à ce jour souffrent de ce mal.

En UK le Big 5 Grant Thornton vient d'annoncer se retirer du marché des grandes entreprises car, depuis dix ans, il ne parvient pas à pénétrer le marché tenu par 4 firmes entretenant ainsi un risque systémique évident. La véritable gravité n'est pas dans la perte de chiffres d'affaires pour la profession mais dans l'hyper concentration du marché qui va en découler au profit indirectement des grandes structures.

10 - Enfin, le métier connaît et va connaître une profonde mutation à la fois par des process de simplification de certains contrôles dans l'exercice de notre mission (traitement de données du type FEC notamment) mais dans le même temps voir l'apparition de nouvelles zones de contrôle très sensibles : RGDP, Crypto monnaies, Cybersécurité demandant au CAC de nouvelles compétences que les jeunes, l'avenir de la profession de demain, sauront s'approprier ; cette réforme doit être aussi et surtout pour eux.

Espérant ainsi, par ma contribution, avoir réussi à vous avoir donné les vrais raisons de s'assurer que, si une réforme de notre profession s'impose, et j'en suis intimement convaincu, elle doit se faire en concertation avec notre profession qui a toujours su montrer ses capacités d'adaptation ; la LSF et toutes les conséquences qui en découlent, en est le dernier parfait exemple.


Eric-Jean VISTE
Commissaire aux Comptes à Toulouse

Billet publié initialement sur Linkedin : « Synthèse remise au Député, Commission permanente Affaires Économiques », repris sur Compta Online avec accord de son auteur que nous remercions !