[Tribune] Demain tous accompagnateurs !

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Le nombre d'articles abordant le thème de l'accompagnement du chef d'entreprise est particulièrement abondant tout comme d'ailleurs les candidats à l'accompagnement des chefs d'entreprise.

Mais pour mieux comprendre ce « nouveau marché » ne faudrait-il pas rechercher la définition de ce mot ?

Un peu de sémantique

Voici ce qu'en dit le Larousse : action « d'accompagner quelqu'un dans ses déplacements » puis une réponse d'ordre culinaire « accompagnement d'un plat » suivie de l'action d'« accompagner un mourant » et des autres variantes d'ordre militaire et musical. Bref, une réponse plutôt... limitée !

Interrogation ridicule pensez-vous et pourtant, depuis les années 90 des spécialistes se sont penchés sur le sujet les amenant à qualifier ce mot « d'irritant », de « véritable fourre-tout aux contours flous ». Après avoir pris connaissance de ces intéressants travaux je pourrais jouer l'érudit et citer Homère (Ulysse : le guide en quête de sens), Socrate (médiateur et accoucheur) ou rappeler « cette structure identique et constitutive de toutes les formes d'accompagnement inscrite dans la sémantique même du verbe accompagner, ac-cum-pagnis, ac (vers), cum (avec), pagnis (pain), dotant l'accompagnement d'une double dimension de relation et de cheminement ».

Je me contenterai de retenir l'essentiel permettant de faire le lien avec les préoccupations des experts-comptables. Car l'expert-comptable avant d'être accompagnateur est, comme nous le savons, reconnu comme « homme de chiffres », « tiers de confiance », attaché à son monopole de tenue de comptabilité et d'établissement de déclarations fiscales, et aussi conseil de ses clients (quand il ne « vend » pas des missions de conseil, il « donne des conseils »).

Les spécialistes s'accordent donc à reconnaître que « le terme accompagnement est finalement le terme le moins défini. Il est à proprement parler, un terme générique ». Ils relèvent que l'on « peut conseiller, orienter, aider, former... sans pour autant accompagner ». Ils ont inventorié les pratiques se déclarant relever de l'accompagnement : « counselling, coaching, sponsoring, mentoring lesquelles coexistent avec tutorat, conseil ou consultance, parrainage ou encore compagnonnage ».

Sur ces bases, et après la lecture des documents cités que je vous recommande[1][2], que peut recouvrir pour l'expert-comptable cette idée d'accompagnement de nos clients au-delà de l'aspect purement technique sur lequel je reviendrais ? Je retiendrai cette idée principale que l'accompagnement serait :

« Ce cheminement spatial et surtout temporel [qui] implique un triple registre[3] : conduire/guider/escorter ». Dès lors la mission d'accompagnement que nous, experts-comptables, imaginions serait multiple :

  • guider, conseiller, orienter ;
  • conduire, gouverner, diriger, éduquer, initier ;
  • escorter, protéger, aider, soutenir ;
  • et aussi Veiller, surveiller, éveiller.

Mais avec quel objectif ? Selon ces spécialistes chaque registre présenterait un objectif différent :

  • conduire, supposerait une visée de performance ;
  • guider, impliquerait une approche plutôt transitionnelle ;
  • escorter, placerait l'accompagnement dans une dynamique existentielle.

Ces travaux apportent un éclairage tout particulier sur ce monde de l'accompagnement, nouvel eldorado de nombreux professionnels aux titres multiples et monde dans lequel l'expert-comptable devra se démarquer.

Par rapport à la concurrence nous répondons d'ores et déjà à de nombreuses contraintes posées par ces spécialistes, notamment avec notre code de déontologie. Les autres professions de l'accompagnement doivent toutes pouvoir se référer à un code, ou au moins à un référentiel de compétence qui insiste sur la dimension éthique.

Restera à faire bénéficier l'accompagné « de l'humanisme et du professionnalisme de l'accompagnateur ».

L'expert-comptable accompagnateur : pour quelles missions ?

Ludovic Melot a récemment présenté un inventaire des missions « possibles » pour l'expert-comptable. J'ai ainsi retenu, dans le désordre :

  • relance clients ;
  • recouvrement ;
  • suivi et gestion de trésorerie ;
  • aides pour les entreprises ;
  • aides à la création ;
  • secrétariat administratif ;
  • domiciliation ;
  • financement ;
  • facturation et suivi clients ;
  • recrutement ;
  • DAF externalisé.

Cette énumération s'inscrit dans le concept « full service » mais l'on peut ajouter : les comptes de résultat prévisionnel, les dossiers d'acquisition ou de présentation de cession, le conseil en gestion de patrimoine, le conseil en retraite, conseil cybersécurité, RSE... J'en oublie sans doute, mais je n'oublie pas l'accompagnement à la transformation numérique et à la mise en place de la facture électronique, secteur où concurrents et partenaires ne manquent pas !

Nombreuses missions, donc, mais qui toutes se trouvent hors du périmètre du « monopole ». Il y a un an je reprenais les informations d'un rapport commandé par l'UNASA[4] lequel relevait pas moins de 1 400 structures et 40 réseaux déjà positionnés sur le marché du conseil et de l'accompagnement. C'était sans compter sur tous ces nouveaux acteurs de ce marché qui viennent s'ajouter aux acteurs traditionnels avec lesquels nous avons l'habitude de travailler : avocats spécialisés, CGP, assureurs, banquiers.

Et comme si ceci ne suffisait pas, Bpifrance (entre autres) propose une formation « pour acquérir les méthodes et développer les aptitudes relationnelles pour le suivi du nouveau chef d'entreprise » Mais que font donc les experts-comptables depuis 1945, n'étaient-ils pas déjà des accompagnateurs !?

Dans ce « monde ultra concurrentiel » de l'accompagnement, les experts-comptables devront donc impérativement s'adapter, se former, démontrer ce qu'ils apportent en plus. Pour chaque mission prise isolément sommes-nous certains que tous les experts-comptables seront reconnus comme le meilleur accompagnateur... au-delà de sa spécialité « scotchée » à son titre ? Retrouveront-ils dans l'accompagnement le chiffre d'affaires perdu en « tenue de comptabilité » ?


 

Serge Heripel est expert-comptable retraité et vice-président de l'organisme mixte de gestion agréé France Gestion.