Défendre la CAVEC, c'est défendre les petits cabinets

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Le projet de réforme des retraites est un sujet d'actualité brûlante.

Lundi 21 octobre au soir, les deux syndicats représentatifs de la profession comptable seront reçus par leurs ministres de tutelle et par M. Delevoye pour évoquer le sujet. L'occasion de faire un point sur l'impact que cette réforme pourrait avoir sur la profession comptable et sur les souhaits des syndicats.

Quelle est aujourd'hui notre situation en termes de cotisations ?

Aujourd'hui, chaque expert-comptable inscrit au tableau cotise à la caisse de retraite complémentaire de la CAVEC en fonction de paliers correspondant à leurs revenus. Cette cotisation représente entre 8% et 18% du revenu jusqu'à 133 000 ¤ d'assiette. La moyenne se situe à 13%. A côté de cela, les experts-comptables libéraux cotisent également à la retraite de base, auprès de la CNAVPL, pour 10,10% de leur revenu net jusqu'au Plafond annuel de la Sécurité Sociale (PASS) et 1,87% entre 2 et 4 PASS. Les cotisations retraite sont donc entre 18 et 24% jusqu'à 1 PASS et entre 16 et 25% du pour un revenu net entre 40 000 et 133 000 ¤.

Quels sont les pistes évoquées par le rapport Delevoye pour notre profession ?

Le rapport Delevoye prévoit pour tous les indépendants de baser les cotisations non plus sur un revenu net mais sur un revenu brut abattu. Le revenu net implique en effet de connaître les cotisations... lesquelles sont calculées à partir du revenu net... un joli casse-tête pour les experts-comptables autant que pour les inspecteurs de l'URSSAF. L'idée est louable. On ignore simplement à ce jour ce qu'est un revenu brut autant que l'on ignore l'ampleur de l'abattement. La base de calcul des cotisations est donc largement inconnue.

Concernant les taux de cotisations, le rapport prévoit 28% jusqu'à 40 000¤ d'assiette de base et 12,94% entre 40 000¤ et 120 000¤. L'ensemble des sommes ainsi récoltées viendraient alimenter le régime « universel ». Libre aux professions d'organiser ensuite leur régime de prévoyance.

Quelle est la plus grande menace pour la profession comptable et les commissaires aux comptes ?

Le premier risque est celui d'une hausse des cotisations de retraite. Si la base de cotisation de demain correspond eu ou prou à celle d'aujourd'hui, on voit qu'en dessous d'un PASS la réforme se traduira par une hausse effective allant de 4 à 10 points.

Or ce sont précisément les petits cabinets qui seraient le plus impactés par une telle hausse : ceux qui ont du mal à recruter le premier puis le second salarié. Ces mêmes cabinets qui ont été saignés par la remontée brutale des seuils de l'audit légal. La réforme des retraites, c'est la disparition de l'exercice indépendant et la concentration accélérée des cabinets.

Cette hausse de charges affectera d'autant plus durement les indépendants qui auront racheté une clientèle. Les jeunes confrères qui souhaitent se lancer ou se développer. Ces mêmes cabinets, souvent, dont la trésorerie est absorbée par le remboursement de l'emprunt pour la clientèle et par les charges sociales afférentes au principal. La réforme, c'est notre relève qui se couche.

Le gouvernement a promis de ne pas augmenter les cotisations. S'il tient parole, alors il n'y a rien à craindre de la réforme ?

La réforme porte un second risque absolument majeur quoique moins visible : la destruction d'un système adapté aux besoins de notre profession. Aujourd'hui, la CAVEC a développé un ensemble de mesures correspondant à la population qu'elle couvre. L'option pour la tranche supérieure, celle pour la réversion à 100%, les possibilités de rachat de points, les indemnités journalières ou la prévoyance correspondent très précisément aux besoins de notre profession. Parce que nos disponibilités sont irrégulières, nous avons besoin de cette souplesse des contributions. Parce que nos cabinets représentent une part majeure de nos patrimoines et de nos vies, nous avons besoin de protéger nos proches en cas d'infortune. La CAVEC est parfaitement adaptée aux besoins des professionnels parce que son offre a été construite par et pour eux.

En affectant l'intégralité de l'effort contributif des petits cabinets au régime universel, on prive la CAVEC d'une part majeure de ses financements. La CAVEC ne pourra plus exister comme telle. Au mieux deviendra-t-elle une caisse de retraite sur-complémentaire. Or le régime universel ne saura jamais s'adapter à nos besoins. C'est donc clairement une dégradation de notre protection sociale qui est envisagée avec cette réforme. Encore une fois, au détriment des « petits cabinets » : au-delà d'un certain niveau de revenus, il est toujours possible de se tailler une protection sur mesure...

Les réserves, le niveau des pensions... eux ne sont pas menacés ?

Ces deux sujets sont souvent repris dans les arguments contre la réforme. Sans doute par leur côté « impressionnant ». Pensez donc : 1,7 milliards de réserves, ce n'est pas rien !

A la vérité, ces réserves sont la propriété inviolable de la CAVEC et par là même ne peuvent être « prélevées » par l'Etat. Ceci a été confirmé en décembre 2012 par le Conseil Constitutionnel.

Alors, on peut effectivement répéter inlassablement « nos réserves ! nos réserves ! » comme l'Harpagon de Molière criait « Ma cassette, ma cassette ». Comme lui, on perdra l'essentiel de vue... A savoir que ces réserves ne sont qu'un outil destiné à amortir les évolutions démographiques au sein de la CAVEC. L'intérêt de ces réserves est de garantir la pérennité de notre système de retraite. Proposer de les distribuer rapidement, comme on a pu le lire, est une ineptie sans nom qui fragiliserait dangereusement notre protection sociale et nous conduirait inéluctablement à un régime étatisé.

Quant au niveau des pensions, nous devons rester aussi réalistes que vigilants : sur la retraite de base, nous n'avons pas la main et le taux de service des points assure un rendement proche des 5%. Sur la retraite complémentaire, le contexte financier et la démographie ont permis jusqu'ici de maintenir des rendements beaucoup plus élevés tout en continuant à constituer des réserves. Ce que demain nous réserve, nul ne le sait.

Que défendons nous ?

Nos enjeux sont simples : nous devons préserver la CAVEC parce qu'elle assure une protection sociale adaptée à l'économie de notre profession... et nous devons maintenir le niveau des cotisations : s'il venait à augmenter, c'est la disparition des petits cabinets, de la proximité et du maillage territorial ; c'est le déséquilibrage d'un écosystème déjà fortement éprouvé pour nos fonctions de commissaires aux comptes... et c'est à coup sûr la hausse des tarifs pour les entreprises clientes...

Les représentants des professions libérales et de leurs caisses de retraites se sont réunis jeudi soir pour définir une ligne commune : en deçà de 40 000 ¤ de base, cotisation de 11,2% au régime universel, ce qui correspond à la part salariale des futures cotisations des salariés. Le reste de la retraite des libéraux devrait rester géré par leurs caisses complémentaires qui assurent la souplesse et l'adaptation nécessaire à une bonne réactivité économique des professions concernées aux évolutions de leur environnement. D'autres sujets sont naturellement ouverts à la discussion comme la simplification des changements de carrière, les droits des parents, la prise en compte des études et du service militaire.

Un régime universel comme le propose le rapport Delevoye, cela n'existe nulle part. Pas même à Cuba. Pas même en Chine. Les deux derniers bastions communistes ne sont pas allés jusque là.

Pour notre part, nous pensons que la richesse de la France réside dans ses 35 000 communes. Que la présence d'un expert-comptable sur un territoire donné contribue à son dynamisme économique et que cela implique l'existence de petits cabinets, lesquels sont plus enclins à privilégier le maintien de leur implantation. Nous savons que le maillage territorial a un coût... et nous l'avons toujours assumé dans nos frais de structure, comme nous avons toujours assumé la solidarité intergénérationnelle et celle avec le régime général. Oui, nous sommes différents : nous ne coûtons rien à personne. Nous sommes autonomes, responsables et solidaires. Vraiment, quelle réforme censée voudrait tuer un système de retraite comme le nôtre ?



Romain Acker est expert-comptable et commissaire aux comptes à Rouen.
Il est également secrétaire du Bureau National de l'IFEC et administrateur (CPME) de l'ACOSS.