De l'auditeur légal à l'auditeur de blockchain

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La technologie de la blockchain bouleverse à court et moyen terme de nombreux secteurs :

  • réglementés : banque, notariat, juridique, etc...
  • non réglementés : suivi qualité/traçabilité animale, secteur musical, etc...

Ce phénomène a une portée mondiale comme l'indique l'outil Google Trends. Par ailleurs, il concerne des pays avec des PIB très hétérogènes : Liechtenstein vs Nigéria.


Source : Google Search sur la requête "Blockchain"


Consécutivement à ce mouvement mondial et plurisectoriel, nous nous étions interrogés sur les apports de la blockchain pour la profession comptable.

Au-delà des possibilités offertes à notre Profession, on peut s'interroger sur le rôle du commissaire aux comptes vis à vis de la technologie blockchain : allons-nous voir évoluer dans les prochaines années notre métier d'auditeur légal en auditeur de blockchain ?

Nous vous proposons d'analyser la blockchain à travers le prisme de l'auditeur légal et de son corpus normatif : les NEP (normes d'exercices professionnelles).

Pour les besoins de l'article, nous n'avons pas traité de manière exhaustive les différentes NEP, mais analysé celles qui nous semblent revêtir le plus d'intérêt dans le cadre d'un audit de blockchain « classique ». L'audit de la blockchain ne constituant qu'un des aspects de la mission du commissaire aux comptes dans son approche d'audit.

NEP 315 : Connaissance de l'entité et de son environnement et évaluation du risque d'anomalies significative

Selon le paragraphe 01 :

Le commissaire aux comptes acquiert une connaissance suffisante de l'entité, notamment de son contrôle interne, afin d'identifier d'évaluer le risque d'anomalies significatives dans les comptes et afin de concevoir et de mettre en oeuvre des procédures d'audit permettant de fonder son opinion sur les comptes

Si l'entité auditée interagit avec une blockchain dans le cadre de son activité ou de ses processus, le commissaire aux comptes devra évaluer le risque d'anomalies significatives qui pourrait survenir dans l'exploitation directe ou indirecte de cette blockchain.

A travers ses différents tests à sélectionner à l'issue de son évaluation des risques (NEP 330), le commissaire aux comptes pourra relever les éventuelles carences et/ou anomalies, et communiquer celles-ci à la direction (NEP 265 et NEP 450).

La lecture du « White papers » et du « Smart Contract » à l'origine de la blockchain sont impératives afin de comprendre la blockchain avec laquelle interagit l'entité auditée.

NEP 505 : Demandes de confirmation des tiers

L'application de cette norme peut s'avérer délicate vis-à-vis de l'audit d'une blockchain publique. En effet, la philosophie de la blockchain publique implique qu'elle soit ouverte et l'information librement accessible. Dès lors, quelle pertinence donner à une confirmation par les tiers d'une transaction ou d'un solde (de crypto-monnaie par exemple) ?

NEP 540 : Appréciation des estimations comptables

Cette norme peut également s'avérer délicate à appliquer dans certaines situations. A titre d'exemple, comment estimer de manière fiable la valorisation d'une cryptomonnaie ? En effet, il n'existe pas à ce jour « d'autorité » qui détermine une cotation unique, les cotations peuvent ainsi différer suivant les plateformes.

Par ailleurs, dans le cadre de smart contract ou contrat intelligent, quid de l'estimation d'éventuels passifs à comptabiliser à la clôture des comptes ?

NEP 570 : Continuité d'exploitation

Si l'utilisation d'une technologie blockchain est au coeur de l'activité de l'entreprise, la notion de continuité d'exploitation doit être abordé au regard des éventuelles failles de sécurité et/ou de fluctuations importantes au sein des cotations des cryptomonnaies.

En effet, si une faille compromet l'intégrité de la blockchain, rendant inopérant de facto celle-ci, la continuité d'exploitation doit être abordée avec les différentes parties prenantes.

NEP 620 : Intervention d'un expert

A ce jour, les commissaires aux comptes ne disposent pas de formations et/ou de certifications qui permettent de justifier d'une compétence reconnue en matière d'audit de blockchain.

Afin de sécuriser sa démarche d'évaluation des risques et d'évaluation du contrôle interne de l'entité, le commissaire aux comptes devrait faire appel à un expert externe afin d'obtenir des conclusions qui lui permettent de valider les assertions qu'il a souhaité valider. Le recours à des professionnels aguerris aux technologies de blockchain apparaît comme indispensable.

NEP 630 : Utilisation des travaux d'un expert-comptable intervenant dans l'entité

Dans le cadre de l'audit de blockchain liée à des crypto-monnaies, le commissaire aux comptes devrait s'intéresser aux travaux réalisés par l'expert-comptable.

A titre d'exemple, nous pourrions citer les règles et méthodes appliquées à la comptabilisation des crypto-monnaies qui peuvent avoir un impact significatif sur les comptes. Si vous souhaitez en savoir plus sur l'articulation entre les monnaies virtuelles et les experts-comptables, nous vous invitons à lire l'article « Les monnaies virtuelles et les experts-comptables : le cas d'école du Bitcoin ».

NEP 702 : Justification des appréciations dans les rapports du commissaire aux comptes sur les comptes annuels et consolidés des personnes et entités qui ne sont pas des entités d'intérêt public

La justification des appréciations doit permettre au destinataire du rapport de mieux comprendre l'option émise par le commissaire aux comptes sur les comptes

Les réformes récentes tendent à confier un rôle de pédagogie accru au commissaire aux comptes à travers la justification de ses appréciations. Dès lors, si la technologie blockchain a un impact sur des « éléments déterminants pour la compréhension des comptes », le commissaire devra l'indiquer dans ce paragraphe ad hoc.

Le commissaire aux comptes dispose d'ores et déjà d'outils

Les enjeux liés à la technologie de blockchain sont tels que la profession comptable doit  se saisir du sujet.

Le corpus actuel de normes qui s'imposent aux commissaires aux comptes dispose déjà de l'arsenal nécessaire pour mener à bien des audits de qualité au sein des entités qui utilisent ou développent des technologies de blockchain.

Cependant, ces audits ne pourront se faire dans l'avenir, sans une allocation substantielle du quota de formation annuelle obligatoire des commissaires aux comptes.

En synthèse, l'auditeur légal est un auditeur de blockchain qui s'ignore !



Fabrice Heuvrard, expert-comptable et commissaire aux comptes.