Cessons de vivre la période fiscale comme une fatalité

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Dure période de labeur pour les cabinets, la période fiscale est vécue chaque année comme une fatalité incompressible. Pourtant, vue sous un autre angle, cette période de « rush » intense peut également se vivre comme une possibilité de renaissance. On vous explique pourquoi.

Journées interminables, pièces justificatives introuvables, clients inquiets et messagerie téléphonique pleine à craquer. Malgré tous vos efforts d'anticipation, votre organisation militaire et votre bonne volonté, chaque année les périodes semblent se suivre et se ressembler. Si bien que ce moment, passionnant professionnellement mais éreintant physiquement et psychologiquement, est presque devenu une fatalité.

Loin de minimiser la charge de travail et encore moins le niveau de préparation et le degré d'investissement que cette période demande, il est tout de même étonnant qu'une profession entière subisse inexorablement ces longues semaines comme une inéluctabilité. C'est simple, à notre connaissance aucun autre corps de métier n'est confronté à une telle situation d'impuissance. Sauf s'il faut considérer la période de grippe hivernale comme la « période fiscale » des médecins généralistes ou le soir de la « Saint Patrick » comme celle des gardiens de la paix. S'il ne vous a pas fait rire, ce trait d'humour a au moins le mérite de mettre en exergue la spécificité du métier comptable. Pourtant, il est possible de faire un pied de nez à ce « fatum », qui n'en est pas véritablement un. Pour cela, il faut d'abord prendre conscience que la profession comptable est régie par une structure organisationnelle particulière.

La difficulté de la période comptable n'est que le fruit d'un héritage culturel de corporation  

Hiérarchiser les états d'avancement des dossiers, effectuer des rétro-plannings, cerner les clients difficiles à gérer afin de prioriser les relances, fixer un seuil de signification par dossier... Lorsque d'une année sur l'autre, un expert-comptable cherche à moins subir sa prochaine période fiscale, il a l'impression de se faire sermonner par les sempiternels mêmes pis-aller. Tous ces conseils donnés pour mieux anticiper la période fiscale sont éculés et déjà introduits dans le processus de travail de la grande majorité des cabinets. Le problème n'a jamais été conjoncturel, mais structurel. Pour augmenter leur productivité, notamment lors d'une période fiscale, les cabinets ont raison de se tourner vers l'aide technologique. Or, se parer de logiciels informatiques comme d'une armure, sans une prise de conscience préalable, ne protègent en rien sur le long terme. La solution technologique doit arriver après la prise de conscience de sa particularité.

En effet, la transformation numérique d'un cabinet est humaine, avant d'être technologique. Les évolutions technologiques sont plus simples à gérer. Elles consistent, dans le cas de la profession comptable, en un investissement massif en matériel et logiciels. C'est un processus rapide, mécanique et collectif. Les collaborateurs doivent certes être formés pour pouvoir utiliser ces nouveaux outils, mais cela reste dans leurs cordes.

Une transformation humaine est plus lente, plus individuelle et, de ce fait, plus difficile. Il est demandé ici à vos collaborateurs, de revoir en profondeur leur métier et leur manière de s'organiser. Il est demandé à aux experts-comptables, après plusieurs décennies de production comptable, de déclarations sociales et de périodes fiscales sur les rotules, de se métamorphoser en véritables chefs d'entreprise. Aux chefs de mission de se muer en managers afin d'impliquer le plus de collaborateurs possible autour d'une nouvelle dynamique organisationnelle. Aux assistants comptables d'épauler leurs collègues avec une expertise de gestion de projets d'entreprise. Pour que la période fiscale ne soit plus une fatalité, les cabinets doivent l'aborder avec une fibre et une philosophie entrepreneuriales.

La culture organisationnelle d'un cabinet joue un rôle essentiel dans la motivation, l'implication et la qualité du travail réalisé. La manière dont s'organisent le travail et la répartition des tâches découle de celle-ci. Cette vision est partagée par les recherches des universitaires américains R. Benke et J. Rhode, qui centrent leurs études sur la profession d'expert-comptable :

« (...) les cabinets comptables ont souvent des cultures organisationnelles qui s'auto-perpétuent car leurs dirigeants ont tendance à sélectionner et promouvoir des collaborateurs qui sont perçus comme semblables. L'absence de diversité parmi les individus au niveau hiérarchique le plus élevé des associés renforce la culture de l'organisation et son influence sur la socialisation des auditeurs à tous les niveaux hiérarchiques du cabinet (assistants, chefs de mission, directeurs de mission). Si une forte culture peut être bénéfique au cabinet comptable car elle permet de réduire les comportements déviants et indésirables de ses membres, elle peut en revanche réduire les activités créatives et évolutives au sein du cabinet et en fin de compte affaiblir son avantage compétitif ».

Le niveau fort et intangible de la culture organisationnelle de la profession comptable s'explique par une absence de diversité hiérarchique. La reproduction de cette dernière au sein des cabinets comptables respecte un ordre établi, qui apparaît comme nécessaire dans la bonne gestion des affaires. Les dirigeants de cabinets jouent donc un rôle stratégique dans la structuration de cette culture, son évolution, sa reproduction et son importance. Maintenant, confrontons l'ensemble de cette analyse avec une donnée essentielle : l'âge moyen des experts-comptables, comptables agréés et commissaires aux comptes libéraux. L'ensemble des récentes études sur le sujet converge vers un âge moyen situé autour de 53 ans.

Où voulons-nous en venir ? Quel est le rapport entre l'âge moyen de la profession et la difficulté des périodes fiscales ? C'est très simple.

Depuis plusieurs années, les cabinets ont intégré un lot d'habitudes de travail. Effectuer une refonte de sa culture organisationnelle nécessite énormément de motivation, de temps et d'investissement car il faut totalement remettre à plat sa stratégie client, investir dans des missions à forte valeur ajoutée, trouver des collaborateurs impliqués et partageant la même vision... et ce tout au long de l'année. L'alignement des planètes est donc délicat et il est compréhensible que certains experts-comptables ne se lancent pas dans ce type de mission commando. Et pourtant... Quel que soit le moment de votre carrière ou la taille de votre activité, engager ce processus ne peut que nécessaire apporter un crédit supplémentaire et une valeur ajoutée à votre cabinet.

Héritée des années 80, la profession comptable possède une forte culture organisationnelle, ce qui apparaît comme un frein à la créativité, la différenciation et la nouveauté. Il n'est pas question ici de porter un quelconque jugement de valeur, cette culture n'ayant pas été choisie, mais transmise de génération en génération. Cela veut simplement dire que, contrairement à d'autres métiers, la modification de cette culture organisationnelle va, pour l'expert-comptable, représenter une tâche plus longue et délicate. Après l'accompagnement humain, viendra dans un second temps l'accompagnement technologique. Et c'est encore une autre histoire.

Il faut d'abord en être pleinement conscient et s'entourer des personnes compétentes afin d'entamer ce processus le plus tôt possible. C'est évidemment plus facile à dire qu'à faire... En effet, les révolutions humaines sont, par essence, plus compliquées et difficiles à cerner, car elles relèvent de l'émotion et de l'affectif, et non strictement de la technique pure. C'est une nouvelle culture organisationnelle que la profession va devoir bâtir et, pour cela, il va lui falloir du temps et surtout un accompagnement approprié. Par essence, les métiers libéraux ont moins tendance à avoir dans leurs ADN ce type de réflexes entrepreneuriaux et cette gestion managériale du risque et de la performance. Ces termes « marketing » ne sont pas des insultes, mais une des portes de sortie afin de mieux maîtriser le fort pic de saisonnalité intrinsèque à l'activité comptable.

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Tribune de Romain Passilly
CEO Inqom

www.inqom.com