Réinventez votre cabinet d'expertise comptable avec la RSE

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C'est l'heure de passer à la RSE ! Les experts-comptables qui hésitent encore, venez découvrir la piste à suivre pour développer de nouveaux services auprès de vos clients et embarquez vos équipes dans une aventure pleine de sens.

A tous les experts-comptables et commissaires aux comptes, collaborateurs en cabinet, auditeurs, c'est décidé je saute dans le grand bain du conseil.

Là où certains d'entre vous me connaissent comme experte-comptable engagée, je suis aujourd'hui à la direction d'une nouvelle entreprise dont la mission est de faciliter l'intégration de la RSE chez les experts-comptables.

Grâce à Compta Online, je vais vous livrer au fil des mois des conseils, bonnes pratiques, réflexions qui vous aideront à mieux appréhender le sujet.

Commençons par poser le problème

L'arrivée de la nouvelle réglementation CSRD interroge : alors que les commissaires aux comptes ont pris le parti d'être auditeur du futur rapport de durabilité, bouleversant ainsi l'ordre établi depuis plusieurs années entre le Cofrac et les auditeurs de données extra-financières, les experts-comptables peuvent pleinement s'interroger.

Comment se positionner face à ce sujet ? La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) relève-t-elle du champ exclusif de l'audit des données extra-financières ou n'y aurait-il pas un autre récit à inventer pour que les experts-comptables puissent aussi contribuer aux défis de la durabilité ?

Nous faisons trois constats.

Le sujet est vaste : comment s'approprier l'ensemble des compétences en peu de temps ?

Il aura fallu 8 ans d'études (voire plus) pour acquérir les compétences relatives au droit, à la fiscalité, au social, à la comptabilité générale, de gestion, l'analyse financière, à l'évaluation, à la consolidation, aux entreprises en difficulté... et tout autant d'années de pratique pour se sentir pleinement expert dans une matière.

Le sujet de la Responsabilité Sociétale est tout aussi large voire plus : gouvernance, droit de l'homme, condition de travail, environnement, loyauté des pratiques, questions relatives aux consommateurs, développement et communauté locale. A chaque question centrale, plusieurs domaines d'actions, qui nécessite à chaque fois de se poser la question du respect réglementaire, l'avis des parties prenantes (qui sont-elles ?), de la pertinence, de l'importance et de la maturité du sujet dans le business de l'entreprise (et plus globalement de l'organisation).

La question qui se pose à partir de là : l'expert-comptable peut-il devenir Expert en RSE ? 

Je crois que la réponse est OUI mais il faut s'en donner sérieusement les moyens : un expert-comptable ne deviendra pas un expert de la RSE du jour au lendemain sans un effort significatif de montée en compétences !

Pourquoi ? Parce que l'expert-comptable fait des choix : certains préfèrent l'évaluation, d'autres les entreprises en difficulté, beaucoup préfèrent la comptabilité générale, là où la comptabilité de gestion est parfois délaissée, il y a des experts qui deviennent spécialiste de la consolidation et d'autres de la TPE.

Il est alors fort probable que les experts-comptables qui décideront d'y aller devront également faire des choix pour la RSE : quelle proposition de services ? Quels clients ? Quelles compétences ? Quelle stratégie pour développer et intégrer ce sujet ? Quelle communication ? Quelles premières actions ? Quelle R&D ?

Pour moi, la question de l'acquisition de compétences se pose aussi au regard de la culture du cabinet : comment faire cohabiter deux positionnements : celui de l'expert (le sachant) et celui du conseiller (celui qui ne sait pas tout et qui cherche avec son client).

Je pense que de nombreux cabinets pluridisciplinaires sont déjà sur cette voie mais ils n'en parlent pas assez.

Le sujet est vaste : par quoi faut-il commencer ?

Je vois beaucoup de cabinets qui me disent commencer la RSE par une fresque du climat ou par une formation sur le bilan carbone.

Attention à l'amalgame : la RSE ce n'est pas une fresque du climat.

Cette animation est très bien sur différents aspects : ludique, participative, apport scientifique, analyse systémique (causes/conséquences, interrelation entre les phénomènes), prise de conscience, débat... Toutefois ce n'est pas par ce chemin que vous monterez en compétences sur la RSE.

Attention à l'amalgame aussi sur le bilan carbone

Se former au bilan carbone est une action à part entière qui doit correspondre à une stratégie ou à une volonté de monter en compétences. Être consultant carbone est un métier technique et nécessitant des compétences bien particulières. Le consultant carbone ne traite qu'un aspect de la RSE : la lutte contre le réchauffement climatique. Il propose une solution qui permet d'actionner des leviers pour réduire les émissions de CO2. Il n'aborde pas les autres sujets de la RSE ou alors au regard de l'enjeu climat.

La compréhension des modèles d'affaires

Selon moi, l'un des sujets qu'il est nécessaire de faire rentrer dans les cabinets pour intégrer la RSE, c'est la compréhension du modèle d'affaire d'une organisation et l'identification de ses impacts financiers, environnementaux, sociaux, sociétaux. 

Le plan comptable ne reflète nullement le modèle d'affaires et il serait présomptueux de dire que l'on comprend le modèle d'affaires en réalisant une analyse financière des comptes d'une organisation.

Le « modèle d'affaires responsable » d'une organisation est en constante évolution en fonction du cycle de vie de l'activité (création, développement, difficultés, stabilité, cession...). Il est donc à réinterroger régulièrement.

Le comprendre nécessite d'appréhender la mission fondamentale de l'entreprise (son « why ») et la proposition de valeur de l'organisation au-delà de l'analyse des charges et des produits. Comprendre la proposition de valeur correspond à s'intéresser au c½ur business des clients, se demander ce qui fait que les parties prenantes reviendront, adhéreront au produit / service et seront prescripteurs. Comprendre la proposition de valeur, c'est regarder en dehors des comptes.

La proposition de valeur ne fait pas tout, il est également nécessaire de s'interroger sur :

  • le « comment fait-on le produit ou le service ? » : c'est là que l'intégration de la RSE prend tout son sens (gouvernance, ressources clés, canaux de distribution en tenant compte des impacts / effets positif et négatif) ;
  • le « pour qui fait-on le produit ou le service ? » : il y a l'utilisateur, le client (celui qui paie), le bénéficiaire, la société civile... ;
  • le « pour quoi le fait-on ? » : le sens profond qui motive l'entrepreneur, l'équipe, les partenaires à s'engager.

C'est pour cela, à mon avis, que la RSE ne pourra pas être traitée comme l'établissement d'un bilan, d'une attestation ou encore d'un diagnostic dans les cabinets. Je crois fondamentalement que le c½ur business de l'expert-comptable est l'accompagnement à la gestion des entreprises au service des entrepreneurs.

La question reste donc ouverte pour le cabinet d'expertise-comptable : comment accompagne-t-il l'entrepreneur ?

Un axe essentiel de l'intégration de la mission « RSE » dans les cabinets d'expertise-comptable repose aussi sur une analyse de leurs propres modèles d'affaires et de l'approche d'accompagnement adoptée.

L'intention : soyez conscients de pourquoi vous devez y aller !

Je rencontre beaucoup d'experts-comptables qui me disent que la RSE ça ne les concerne pas.

Je rencontre beaucoup d'experts-comptables qui me disent qu'ils souhaitent faire du business avec la RSE.

Je rencontre beaucoup d'experts-comptables qui se disent qu'il faut y aller pour les équipes, les clients et qui ne savent pas par où commencer.

Je rencontre aussi beaucoup de jeunes alternants qui rentrent dans le métier en s'intéressant à ce sujet et en espérant que l'expert-comptable qui les accompagne va aussi s'y intéresser.

Je rencontre aussi beaucoup de jeunes alternants qui ne s'y intéressent pas.

Lors de mes nombreuses discussions avec des convaincus ou non, le sujet qui revient toujours est le même : quelle est l'intention profonde du ou des dirigeants du cabinet ? Quelle est la vision long terme de la transformation à opérer dans le cabinet pour intégrer pleinement la RSE ?  Quelles sont les valeurs (positives ou négatives) que le dirigeant de cabinet souhaite piloter, veut voir croître ou décroître ?

Dans les cabinets, il est tout à fait possible d'envisager une croissance du taux de satisfaction, une croissance du bien-être au travail, une croissance de nouvelles compétences, une amélioration des échanges et relations clients/experts-comptables/collaborateurs, une amélioration du partage de la valeur, une ouverture de l'actionnariat aux salariés et une décroissance du taux de turnover, des risques psycho-sociaux, des démissions, des pertes de temps, des déchets, des émissions de CO2... La RSE permet de rendre plus lisible l'intention du dirigeant. Il faut en être conscient.

La norme RSE (ISO 26000) est d'ailleurs très claire sur ce sujet, elle emploie le terme : « il convient de ... » là où toute autre norme comme l'ISO 9001 ou 14001 emploie le terme : « il doit ».

Cette grande différence est à mes yeux toute la richesse de la Responsabilité Sociétale : chacun reste libre de ses actes, en toute conscience du monde qui l'entoure (risques/opportunités/impacts) et dans le respect des attentes et besoins des parties prenantes (écoute et dialogues)

Avec l'arrivée de la CSRD et l'application des ESRS, c'est maintenant le niveau d'exigences qui augmente notamment au niveau des thèmes à regarder lors de l'analyse de la matérialité (article AR16, norme ESRS2), de la démarche d'analyse (guide méthodologique de l'EFRAG à paraître prochainement) ou encore des obligations d'informations à reporter à la suite de l'analyse de matérialité.

Les ESRS introduisent donc des obligations là où l'ISO 26000 prônait une RSE volontaire.

 

En guise de conclusion

Le monde change, c'est incontestable : il prend conscience des limites planétaires et des inégalités sociales à l'image du Donut de Kate Raworth. Tout s'accélère dans ce sens et les transformations deviennent inévitables : renforcement de la réglementation, adaptation aux crises climatiques, entreprendre autrement, développer de nouveaux circuits, considérer les forces et les faiblesses des évolutions et du progrès, renoncement au passé pour regarder vers l'avenir... Cela a toujours existé.

Ce qui est nouveau, c'est qu'au-delà de la prise de conscience et des actes citoyens, militants, entrepreneuriaux, la société postmoderne ou hypermoderne dans laquelle nous vivons, a besoin de s'assurer que les modèles de société, les modèles d'affaires créent de la valeur durable.

Sinon cela ne vaut pas le coût pour les générations futures...

Alors, l'homo « experto-comptabilus » va lui aussi être amener à changer car sans cela il y a de fort risque que son espèce disparaisse : digitalisation de l'Etat, factures électroniques, ouverture des outils vers l'utilisateur client, robotisation de la chaîne de flux comptables, Intelligence Artificielle, fidélisation des collaborateurs, santé au travail, concurrence indirecte des DAF externalisés et des conseils en gestion d'entreprise qui sont aujourd'hui encore en dehors de la profession...

Ma vision est celle-ci : un cabinet d'expertise comptable ne devrait pas considérer la RSE comme un « truc en plus » qui se rajouterait à toutes les problématiques déjà évoquées. En intégrant la RSE dans son c½ur de métier, l'expert-comptable se dotera d'un nouvel angle de vue pour son propre business, développera de nouveaux cadres d'activités tant sur le plan relationnel (parties prenantes) que sur le plan technique (enjeux de durabilité). Je crois que le nouveau rôle de l'expert-comptable pourrait être d'accompagner et faciliter la transformation des modèles d'affaires et des modèles économiques. Il peut passer d'une profession technique, tournée vers le chiffre à une profession accompagnatrice de la durabilité !

Les perspectives sont immenses !



Orianne Champon

Conseil en stratégie RSE et Intégration de la RSE dans les métiers du Chiffre